L’évaluation du travail des agences de voyages pour la saison 2025, les défis actuels du secteur touristique et les perspectives de réussite de la prochaine saison ont été les principaux axes abordés lors de l’assemblée générale de la Fédération tunisienne des agences de voyages (FTAV), tenue dimanche 27 avril à Yasmine Hammamet.
Cette rencontre annuelle a permis aux professionnels du secteur de dresser un état des lieux sans concession de leur activité, à un moment où le tourisme tunisien doit affronter une conjoncture complexe, marquée par des crises récurrentes. Pour les agences de voyages, l’urgence est double : s’adapter aux transformations du marché et consolider leur rôle de pivot dans la chaîne touristique. Le conseil, la réactivité et la capacité à proposer des offres personnalisées demeurent les principales valeurs ajoutées de ces structures. Ce sont elles qui permettent aux agences de rebondir malgré les difficultés, de maintenir la confiance des clients et de garantir leur pérennité dans un environnement hautement concurrentiel.
Aujourd’hui plus que jamais, la mission essentielle des agences consiste à accompagner les voyageurs, les rassurer et leur offrir les destinations et expériences qui continuent de faire rêver.
Anticiper les mutations du secteur pour mieux s’y adapter
L’évolution rapide des attentes des voyageurs a contraint les agences à repenser leurs méthodes de travail. Anticiper l’imprévisible est devenu une nécessité. Les risques sanitaires, environnementaux et géopolitiques obligent désormais à une grande flexibilité. En parallèle, le secteur continue d’innover et de se transformer, avec une attention croissante portée à la relation client. Trois tendances fortes se dessinent :
1. Le retour du tourisme de proximité : les Tunisiens redécouvrent leur propre pays. Cette dynamique a profité à l’hôtellerie locale, en particulier pendant la dernière saison estivale. Le voyageur d’aujourd’hui perçoit le local comme une alternative plus sûre dans un monde incertain.
2. La montée de l’écotourisme : l’impact environnemental devient un critère déterminant pour une frange croissante de la clientèle. Même si cette approche reste encore marginale, elle gagne en légitimité. Voyager « utile » ou « responsable » devient un argument commercial majeur, poussant les agences à revoir leurs stratégies de fidélisation et de conseil.
3. L’irruption du digital : les innovations technologiques ne cessent de remodeler l’univers du voyage. Réservations automatisées, visites virtuelles, immersion augmentée… La Travel Tech redessine les contours de l’expérience touristique. Pour les agences, il ne s’agit plus seulement de s’adapter, mais de devenir moteur de cette transition numérique.
La formation continue, un levier stratégique
Face à ces mutations, la profession d’agent de voyage connaît une évolution rapide. Les destinations à la mode, les outils numériques, les nouvelles attentes des clients : tout change à grande vitesse. Pour faire face, la formation continue devient indispensable. Séminaires, ateliers, webinaires proposés par la FTAV ou d’autres organismes spécialisés permettent aux professionnels de rester à jour, d’approfondir leurs compétences et de gagner en agilité.
Mais un problème persiste : la pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Comme le souligne Hanen Chahed, « les candidats manquent cruellement dans les agences de voyages ». Ce déficit de profils touche tous les maillons de la chaîne : conseillers, billettistes, technico-commerciaux. Les quelques diplômés disponibles sont rapidement absorbés par les entreprises, souvent avant même la fin de leur formation.
Le métier se renouvelle, se transforme, mais peine à attirer. Il faut donc, selon les acteurs du secteur, encourager la formation initiale dans les écoles spécialisées, multiplier les dispositifs d’accompagnement, et renforcer l’attractivité du métier. L’agent de voyages de demain sera celui qui aura su se réinventer, dans un environnement à la fois exigeant et incertain.
Face au numérique : se réinventer ou disparaître
L’essor du digital bouleverse le modèle traditionnel des agences. Aujourd’hui, les grandes enseignes rénovent leurs points de vente pour les transformer en lieux de vie connectés, intégrant écrans tactiles, design moderne et services personnalisés. Mais malgré ces efforts, le cœur du problème demeure : la désintermédiation.
Les voyageurs réservent eux-mêmes leurs séjours en ligne, comparent les offres en quelques clics et trouvent réponses à leurs questions via des algorithmes. Les agences voient leur rôle historique d’intermédiaires remis en cause.
Cette tendance est amplifiée par l’arrivée de nouveaux acteurs issus du monde de la tech : plateformes de réservation, assistants virtuels, agences de voyages 100 % numériques. Ces structures agiles et puissamment financées représentent une concurrence redoutable pour les agences classiques, souvent limitées en ressources.
Les menaces sont multiples : billetterie électronique, kiosques en libre-service, applications mobiles capables de générer des itinéraires sur mesure grâce à l’intelligence artificielle. Une simple requête textuelle peut aujourd’hui aboutir à une offre complète incluant hôtels, activités et transports. Dans ce contexte, les agences de voyages n’ont qu’une alternative : s’adapter ou disparaître.
Le transport, nerf de la guerre touristique
Aucun tourisme sans moyens de transport. L’accessibilité conditionne directement l’attractivité d’une destination. En Tunisie, les agences de voyages dépendent étroitement des infrastructures de transport, qu’elles soient terrestres, aériennes ou maritimes.
Or, comme l’a signalé Nabil Merhag lors de l’assemblée, le secteur souffre d’un manque criant de moyens, notamment pour le transport touristique. Le renouvellement du parc de véhicules devient un casse-tête : un bus de 55 places dépasse aujourd’hui le million de dinars. Cette contrainte budgétaire pèse lourdement sur la qualité du service et sur la compétitivité des agences.
Il devient donc impératif de revoir les avantages fiscaux et douaniers accordés pour l’acquisition de véhicules touristiques. Certaines mesures, déjà introduites dans les lois de finances de 2017, 2018 et 2023, mériteraient d’être consolidées et étendues. Sans un soutien clair à ce segment clé, le développement du tourisme restera entravé. Car sans transport fiable, il n’y a tout simplement pas de tourisme possible.
L’informel, une menace persistante
Enfin, un fléau structurel continue de miner la crédibilité du secteur : le tourisme informel. Faux guides, locations illégales, excursions non déclarées, rabatteurs, sociétés de services déguisées… la liste est longue. Ces pratiques nuisent à l’image de la profession, portent atteinte à la qualité du service et participent à l’évasion fiscale.
Comme l’a dénoncé Faouzi Bouguila, le phénomène ne cesse de croître. Certains rabatteurs agissent dans l’ombre, perçoivent des commissions illégales sur les omra ou les circuits, et échappent à tout cadre réglementaire. Cette concurrence déloyale met les agences agréées en grande difficulté.
Face à cela, la FTAV mène depuis plusieurs années une série d’actions de sensibilisation et de plaidoyer pour dénoncer ces abus. Mais le problème reste entier. Seule une action coordonnée avec les pouvoirs publics, appuyée par des contrôles rigoureux et des sanctions exemplaires, permettra de restaurer un climat de confiance.
Une profession à la croisée des chemins
L’assemblée générale de la FTAV a confirmé que les agences de voyages tunisiennes sont à un tournant décisif. Leur avenir dépendra de leur capacité à : intégrer les outils numériques sans renier leur rôle de conseil ; former et attirer de nouveaux talents ; moderniser leurs infrastructures, notamment de transport ; lutter efficacement contre le tourisme informel.
En somme, il s’agit de redéfinir leur fonction dans un monde en perpétuelle mutation. L’agent de voyages de demain ne sera pas seulement un vendeur, mais un créateur d’expériences, un accompagnateur humain dans un univers ultra-technologique, un acteur du tourisme durable, et un garant de confiance dans une économie de plus en plus dématérialisée.
Kamel BOUAOUINA
Photos Berrazaga