Dans l’univers du cinéma jeunesse, rares sont les voix du Sud qui parviennent à se faire entendre avec autant de constance et de clarté. L’élection du cinéaste tunisien Anis Lassoued au bureau central du Centre international du film pour l’enfance et la jeunesse (CIFEJ), fondé en 1955, marque une reconnaissance internationale pour un parcours entièrement dédié à la représentation cinématographique de l’enfance.
Ce n’est pas un hasard si ce réalisateur, dont les œuvres explorent les subtilités du regard enfantin, accède aujourd’hui à une telle instance. Depuis ses premiers courts-métrages, Lassoued construit un cinéma sensible, qui place l’enfant non pas comme un simple spectateur, mais comme un être pensant, acteur de sa propre narration. C’est dans cette fidélité à une vision éthique et esthétique de l’enfance qu’il s’est imposé sur les scènes festivalières internationales. Son implication ne se limite pas à la Tunisie. Porté par une ambition continentale, il multiplie les initiatives sur le continent africain et dans le monde arabe : résidences d’écriture à Yaoundé, mise en place du premier festival du film pour enfants en Afrique subsaharienne prévu pour décembre 2025, création d’un événement dédié au Sultanat d’Oman… Partout, il s’agit d’insuffler une dynamique là où l’image destinée à l’enfance reste absente ou marginalisée.
L’image de l’enfant : une urgence éducative et identitaire
Au cœur de ses préoccupations : le droit de l’enfant à une image qui le reflète. Dans un pays où les enfants représentent un tiers de la population, il s’alarme de l’absence quasi-totale de contenus locaux conçus pour eux. Ce déficit d’imaginaire partagé pèse lourdement sur la construction identitaire. Pour y remédier, il milite pour la création de quotas de production audiovisuelle pour les jeunes publics, l’introduction du cinéma à l’école, et le respect rigoureux de la signalétique d’âge dans les salles de projection. Mais son projet est plus large encore : une plateforme numérique internationale, véritable carrefour des cinémas d’enfance du monde entier. L’objectif ? Offrir à chaque enfant, de Tunis à Lima en passant par Douala, un accès à des récits qui parlent sa langue et son monde, tout en lui ouvrant des fenêtres sur d’autres réalités.
L’administration, cet écran opaque
Reste un obstacle de taille : les lenteurs administratives. Malgré un soutien de principe des autorités, la réalité du terrain freine souvent les élans. L’expérience malheureuse de son film Gadha, censé être projeté dans une centaine de lycées avant de se heurter à des blocages bureaucratiques, témoigne des défis persistants. Pourtant, le cinéaste ne renonce pas. Car pour Anis Lassoued, défendre l’enfant, c’est aussi défendre un droit fondamental : celui d’exister dans l’imaginaire collectif. Et cela passe, inévitablement, par le cinéma.
Mona BEN GAMRA