Dans une bande de terre assiégée, où le fracas des bombes tente d’éteindre toute voix libre, une flamme s’allume : celle du cinéma. Le journal Le Temps News a contacté l’universitaire palestinien Ezzeddine Shallah, figure culturelle engagée, pour en savoir plus sur un événement exceptionnel en préparation : la première édition du Festival International de Gaza pour le Cinéma de la Femme, prévue du 26 au 31 octobre 2025, en coïncidence avec la Journée nationale de la femme palestinienne.
Ce festival, porté par Shallah en partenariat avec le Ministère palestinien de la Culture et plusieurs institutions culturelles locales et internationales, s’annonce comme un acte de résistance culturelle dans un territoire ravagé par la guerre. À travers l’écran, les femmes palestiniennes auront la parole. Elles raconteront, dénonceront, pleureront et espéreront. Elles résisteront.
L’année dernière déjà, Shallah avait réussi l’impensable : organiser un festival de cinéma en pleine offensive militaire, alors que les bombes saturaient le ciel de Gaza. Ce défi relevé avec une foi inébranlable dans la puissance de la culture en disait long sur la vocation d’un homme pour qui « créer, c’est exister ». Le cinéma, dans cet espace meurtri, n’est pas un luxe, mais une nécessité vitale. Il devient un cri, un témoignage, une mémoire collective qui brave l’oubli imposé par les ténèbres de l’occupation.
Sous le slogan « Femmes héroïques en temps de génocide », le festival entend mettre en lumière la voix des femmes, souvent premières victimes mais aussi premières combattantes dans les drames humains. Comme l’a souligné le ministre palestinien de la Culture, Imad Hamdan, ce festival est dédié à ces femmes qui, à Gaza et dans le reste de la Palestine, continuent de tenir debout malgré les pertes, l’exil, et les ruines. Certaines ont perdu tous leurs enfants, d’autres sont devenues mères d’orphelins, porteuses de récits bouleversants qui doivent être entendus, vus, et reconnus.
Le cinéma, dans ce contexte, dépasse l’esthétique. Il devient urgence et responsabilité. Il permet de documenter, de transmettre et de préserver une mémoire menacée de disparition. Il construit une narration palestinienne autonome, loin des filtres déformants, loin des récits imposés. Il fait entendre une vérité que d’aucuns préfèrent ignorer.
Les films sélectionnés pour la compétition seront en lice pour les Prix de l’Orange d’Or, un nom poétique dans un territoire autrefois couvert d’orangers, aujourd’hui jonché de gravats. Le 26 octobre, désormais date officielle du festival, rend hommage au premier congrès féministe palestinien organisé à Jérusalem en 1929. Plus de 300 femmes y avaient pris part, et neuf d’entre elles sont tombées martyrs. C’est cette mémoire-là que le festival veut réveiller, réanimer, faire dialoguer avec notre présent.
La direction du festival a annoncé l’ouverture prochaine des candidatures à tous les films traitant des questions féminines, quels que soient leur origine ou leur langue. Une manière d’affirmer que la solidarité féminine et artistique n’a pas de frontières.
En pleine dévastation, une salle obscure s’ouvrira à Gaza. Et dans cette salle, une lumière se fera, fragile mais tenace, projetant sur les murs les visages et les voix de celles qui refusent de se taire. Parce que, dans les pires moments de l’histoire, c’est souvent la culture qui sauve ce qui reste d’humanité.
C’est à cela que s’attelle Shallah, avec une foi rare. Et c’est à cela que le cinéma palestinien, entre douleur et dignité, aspire : transformer la tragédie en œuvre, et l’œuvre en acte de résistance.
Mona BEN GAMRA