Le cancer du poumon est l’un des cancers les plus fréquents mais aussi la première cause de décès par cancer. Dans près de 8 cas sur 10, le tabac est responsable de son déclenchement. Heureusement, les progrès médicaux en matière de diagnostic et de traitements ont permis d’améliorer le pronostic des patients. Le principal facteur de risque de cancer du poumon est le tabac, en cause dans 80% des cas comme l’atteste le Dr. Sonia Ezzine Baccari, chirurgienne thoracique et membre de la fondation tunisienne de lutte contre le cancer du poumon Brahim Gharbi
Le Temps.news : Qu’est-ce que le cancer du poumon et ses causes ?
Dr. Sonia Ezzine Baccari : Le cancer du poumon est un des cancers les plus meurtriers, il est responsable de la mort de 8 millions de personnes par an dans le monde. En Tunisie, les statistiques sont tout aussi alarmantes. Mais ce qu’on oublie de préciser c’est que c’est un des rares cancers évitables ! et c’est ce qu’on doit retenir, pourquoi ? Parce que son principal facteur de risque est le tabac, et le fait de ne pas être en contact avec cette fumée, ceci diminue drastiquement le risque d’en être atteint.
Quels sont ses symptômes ?
Ses symptômes sont nombreux, mais nous ce qu’on veut c’est de ne pas arriver à ces symptômes car une fois qu’on les a, on pourrait s’attendre à une maladie évoluée et l’idéal serait de le diagnostiquer à un stade asymptomatique (pas de symptôme) et c’est le but de la campagne de dépistage du cancer du poumon mené actuellement par notre fondation.
Sinon les symptômes principaux sont l’hémoptysie (le patient crache du sang, même très peu, les douleurs thoraciques, la dyspnée, des douleurs articulaires, ou encore des signes qui font évoquer une métastase à distance comme au niveau du cerveau, des os, du foie ou autre. Et là, ce sont des stades avancés, dont la prise en charge devient difficile. Malheureusement en Tunisie le pourcentage de patients qu’on découvre à ces stades tardifs est très élevée (90%) et je reviens donc encore sur le bien-fondé de ce dépistage précoce qui est maintenant la norme aux USA, en Europe et dans tous les pays développés avec un taux de patients pris en charge aux stades précoces, donc guérissables, qui dépassent les 70%.
Comment se fait son diagnostic ?
Son diagnostic se fait d’abord cliniquement où on arrive à évoquer le diagnostic devant certains signes évocateurs chez une personne tabagique. Sinon le principal examen reste le scanner thoracique qui permet de faire le bilan local et régional de la maladie, de connaitre la taille de la tumeur, les organes envahis autour, et surtout le statut des ganglions qui grèvent le pronostic. Ensuite c’est le scanner du reste du corps pour vérifier qu’il nya pas de métastase à distance comme au cerveau, au foie, aux os… et qui sont fréquemment retrouvés lors du diagnostic initial. Actuellement il y a aussi un examen qui est systématique dans les pays développés c’est le PET scan qui est disponible chez nous aussi, mais on le réserve qu’à des cas particuliers vu son coût élevé. Sinon il ya aussi d’autres explorations qu’on fait au cas par cas après une décision qu’on prend dans une Réunion de Concertation Pluridisciplinaire qu’on appelle RCP. Ensuite si le patient est candidat à une chirurgie, ce qui est l’option la plus favorable, il doit encore faire des examens sur le cœur et les poumons pour voir s’il peut tolérer un geste de résection majeure où on peut être amené à enlever tout un poumon.
Quelle prise en charge et quels traitements ? La chirurgie a-t-elle un impact sur la guérison des patients ?
La prise en charge dépend de plusieurs facteurs comme le type histologique du cancer, son stade au moment de sa découverte, l’état général du patient et depuis récemment avec les nouvelles thérapeutiques, on cherche systématiquement les mutations génétiques spécifiques associées.
Grossièrement, on pourra dire que pour les stades précoces, la chirurgie qui consiste à retirer toute la tumeur ainsi que les ganglions, peut être le seul traitement curatif avec un taux de survie à 5 ans de 80%. Pour les stades localement avancés ou métastatiques, nous avons plusieurs combinaisons possibles entre la chirurgie, la chimiothérapie, la radiothérapie, l’immunothérapie et la thérapie ciblée, et tout ça doit être discuté en staff pluridisciplinaire.
Quelles sont les autres maladies liées au tabagisme à part le cancer du poumon ?
Effectivement, le cancer du poumon n’est qu’une maladie parmi tant d’autres, en effet, le tabac est aussi un facteur de risque majeur dans beaucoup d’autres cancers comme le cancer de la langue, de l’œsophage, du pancréas, de la vessie…. Il est aussi responsable d’une maladie invalidante qu’on appelle la fibrose pulmonaire et surtout les innombrables patients qui souffrent au quotidien d’une pathologie très répandue en Tunisie qu’on appelle le BPCO (broncho-pneumopathie chronique obstructive et dont l’évolution se fait souvent vers une insuffisance respiratoire chronique terminale. Et bien sur tout ce qui est une pathologie d’obstruction vasculaire comme l’infarctus du myocarde, les accidents vasculaires cérébraux, les artérites des membres inférieurs et j’en passe, et ça nous médecins, on le voit tous les jours, et chez des patients de plus en plus jeunes à qui on n’a plus rien à proposer à moment donné de l’évolution de leur maladie avec une issue fatale dans des souffrances importantes.
Si le tabac reste le principal facteur de risque de la maladie, il est tout à fait possible de développer un cancer du poumon sans jamais avoir touché une cigarette dans sa vie. En cause, le tabagisme passif et la pollution environnementale. Le cancer du poumon menace-t-il aussi les non-fumeurs ?
Oui effectivement, le tabac est certainement la principale cause de la survenue du cancer du poumon mais il n’est pas le seul, mais avant de parler des autres causes, j’aimerais insister sur le tabagisme passif qui est tout à fait délétère aussi, puisque nous voyons de plus en plus de femmes, qui n’ont jamais fumé, se retrouver avec une forme grave de cancer du poumon, mais quand on pousse l’interrogatoire on trouve que très souvent, le mari, le fils ou encore dans son entourage professionnelle, la patiente est confrontée à un tabagisme passif, donc OUI, le tabagisme passif est aussi un fléau et il ne faut pas du tout sous-estimer son impact.
Sinon pour le reste des facteurs de risques, on trouve le milieu professionnel, où les ouvriers travaillent sans protection, et nous a Nabeul, nous avons l’industrie de la poterie qui est source de beaucoup de problème respiratoire, sinon l’amiante, la pollution atmosphérique et actuellement on travaille beaucoup sur la prédisposition génétique car certaines mutations génétiques peuvent augmenter le risque de cancer, et ceci à même ouvert la porte à de nouvelles thérapeutiques qu’on appelle les thérapies ciblées. Et pour répondre à votre question, oui, le cancer du poumon peut menacer aussi les non-fumeurs et aux USA par exemple, on fait un test génétique à la famille pour détecter la présence de gêne, quand il y a des antécédents de cancer et ça permet de suivre de manière plus rapprochée ceux porteurs de la mutation génétique. Je pose souvent la question aux personnes qui fume et en leur montrant des images réelles de poumon malade, tacheté de noir par le goudron indélébile et je me rends compte à quel point, ces personnes-là, ne réalisent pas à sa juste valeur ce qu’ils sont en train d’infliger à leur corps comme agression !
Est-ce que si on réduit la consommation de tabac, on a moins de risque de développer un cancer du poumon ? Le sevrage tabagique est-ce une approche innovante et aidante chez des patients motivés à arrêter ?
Bien entendu, le fait de réduire sa consommation tabagique est utile, même si l’idéal est bien entendu d’arrêter complètement avec des bénéfices sur le plan respiratoire, cardio-vasculaire et la réduction du risque d’avoir un cancer. Pour revenir au sevrage tabagique, c’est toute une science et qui est actuellement bien connue et personnalisable. Cette thérapie est basée sur les substituts nicotiniques, les thérapies comportementales, l’acupuncture, l’hypnose, et surtout le soutien psychologique, et chaque fumeur désirant d’arrêter, et aidé par son praticien, saura choisir la méthode qui lui convient le mieux.
Une bonne hygiène de vie diminue les risques de développer la maladie ?
Bien sûr, en fait une bonne alimentation riche en fruits et légumes est très importante, car ils sont riches en anti-oxydants ce qui aide à neutraliser les radicaux libres, qui eux sont responsables des mutations cellulaires. L’activité physique régulière, par le biais du renforcement du système immunitaire, est aussi un facteur protecteur. Mais l’arrêt du tabac reste quand même la mesure la plus puissante
La cigarette électronique est-elle dangereuse ?
Oui , oui et encore oui , c’est un leurre dont les firmes du tabac sont très fort, en fait toutes les données scientifiques actuelles sont unanimes pour dire que tous ces substituts à la cigarette sont tout aussi néfastes et responsables de graves lésions pulmonaires avec une très forte dépendance à la nicotine, même plus que la dépendance que peut avoir un fumeur avec la cigarette classique ; ceci d’autant plus que cette vape est utilisée par nos jeunes enfants et adolescents aggravant de ce fait la situation. Imaginez une seconde la souffrance de nos poumons quand on leur inflige des substances chimiques chauffées et en plus avec des arômes artificiels. Vous allez voir que dans quelques années, quand on aura un recul suffisant de l’utilisation de cette cigarette électronique (vape, IQos…. On nous dira, comme on nous l’a dit pour les cigarettes légères.. et que oui effectivement c’était dangereux et ils nous trouveront un autre substitut qui fera de nouveau leur business.
Est-ce que la vape aidera les consommateurs de tabac à se sevrer de la nicotine au fil du temps ?
Les études sont mitigées dans ce domaine, certains utilisent la vape comme un moyen de sevrage tabagique en arguant du fait que cette vape ne contient plus les 3399 substances toxiques générées par la combustion du tabac et qu’on peut aussi choisir le dosage de la nicotine. D’autres études, plus nombreuses et plus académiques, prouvent que la vape accentue la dépendance à la nicotine, rendant de ce fait le sevrage complet plus difficile et plus aléatoire et dans ce cas, la vape devient plus volontiers un substitut au long terme, plutôt qu’un outil de sevrage
Vous êtes par votre spécialité étroitement en contact avec les patients qui souffrent des conséquences de ce fléau, pensez-vous que la prise de conscience se fait souvent trop tard ?
Malheureusement, de par notre pratique quotidienne, c’est tous les jours qu’on voit des patients jeunes ou moins jeunes être rongé de remords d’avoir un jour commencé à fumer, ils sont souvent en colère contre eux même avec un sentiment de culpabilité très intense et, à cet instant, il donnerait tout pour revenir en arrière, sauf que ce n’est plus possible malheureusement.
Pensez-vous qu’il existe des solutions qui éviteraient d’engendrer ce retard ?
Bien sur, c’est la prise de conscience collective que fumer ne fait que remplir les poches des firmes étrangères qui comme je le dis souvent « nous envoie leur poison qu’on achète et qui nous rend malade et ensuite, ils nous envoient leurs médicaments pour nous en guérir et qu’on achète encore, et donc ils ont tout à gagner et nous on a tout à perdre ! » mais ça, c’est nous et nous seuls qui en sommes responsables et nous avons la latitude de leur dire STOP !
Quel est l’objectif de cette journée porte ouverte du 1er juin 2025 organisée par la Fondation tunisienne de lutte contre le cancer du poumon Brahim GHARBI à Nabeul?
Les objectifs de cette journée organisée par notre fondation à Kélibia et Nabeul sont multiples :
C’est de pratiquer des scanners thoraciques low dose, donc à faible dose de rayons X, à toute personnes entre 50 et 75 ans, tabagique ou sevrée depuis moins de 15 ans. Ces scanners seront gratuits. Cette manière de dépister le cancer du poumon est appliquée partout dans le monde et est même prise en charge par le système d’assurance maladie vu son faible coût comparativement à la prise en charge de ce même cancer diagnostiquée à un stade plus avancé et donc toutes les études ont prouvé que le dépistage permet d’assurer au patient un traitement curatif, outre le fait qu’il permet aussi de détecter d’autres maladies respiratoires chroniques, qui prises en charge précocement, empêche leur évolution vers l’insuffisance respiratoire chronique .
-C’est de faire une spirométrie à tous les fumeurs afin de dépister précocement une baisse de la capacité respiratoire permettant d’éviter de multiples conséquences.
-De proposer, aux personnes fumeuses désireuses de décrocher, une aide au sevrage tabagique avec des professionnels dans ce domaine mais aussi en proposant des ateliers d’acupuncture et d’hypnose, des techniques qui ont prouvées leur efficacité dans le cadre de l’aide au sevrage tabagique.
Les tunisiens sont-ils réellement réceptifs à ce type de campagne ?
Oui il y a une prise de conscience croissante dans notre pays mais il faut aussi un grand travail de sensibilisation qui doit être conduit au sein des différents ministères, des médias, des réseaux sociaux et surtout veiller à l’application de la loi qui existe, mais qui n’est pas suffisamment appliquée et s’il ya à mon avis une seule chose à faire ça serait de tout faire pour que nos jeunes ne fume pas leur première cigarette.
Pour finir, quel message voudriez-vous adresser aux fumeurs qui avec ou sans volonté n’arrivent pas à arrêter ?
J’ai envie de leur dire une seule phrase : « le tabac tue, arrêtez le avant qu’il ne te tue » et je rajouterais aussi qu’en étant parent, il est très important de donner l’exemple à ses enfants car il ne faudrait pas être surpris de voir ses enfants fumer, si nous même on banalise le geste de fumer, et je me rappellerai toujours d’un père, qui en sanglot m’avait dit que si son fils était sous chimiothérapie c’était à cause de lui parce qu’il fumait devant lui et il ne s’est jamais remis de cette culpabilité.
Kamel Bouaouina