Selon une enquête publiée le 27 mai courant par l’Institut Arabe des Chefs d’Entreprises (IACE) (Cf notre article de l’édition d’hier) l’argent cash en circulation est en train d’atteindre des pourcentages inhabituels et de susciter des interrogations. Pour sa part, la Banque centrale de Tunisie (BCT) a confirmé ces indices, de quoi lancer un débat sur les raisons d’une telle augmentation et sur ses éventuelles conséquences.
Une chose est sûre : depuis la mise en application de la nouvelle réglementation sur les chèques, l’espèce reste le mode de paiement privilégié des Tunisiens, avec un pourcentage de 47%. C’est ce qui ressort, également, de cette enquête qui indique que les virements et lettres de change occupent la deuxième place (16% chacun).
Menée un mois après l’entrée en vigueur de la réforme (2 février 2025), auprès de 1100 utilisateurs réguliers de chèques majoritairement âgés de 30 à 50 ans, avec une prédominance de revenus situés entre 1000 et 3000 dinars (61%), l’enquête a mis en lumière le faible recours au nouveau chèque (7%).
Un nouvel univers de paiement
Ce constat souligne le besoin d’accompagnement pédagogique, de simplification des procédures, voire d’incitations concrètes pour favoriser l’adoption du nouveau système de chèque. Il révèle, également, un temps d’adaptation incompressible entre le changement réglementaire et sa réelle appropriation par les usagers. Enfin, la quasi-inexistence de la domiciliation (0,4%) dans les réponses suggère une absence de culture de l’automatisation des paiements, alors même que ces derniers offrent des avantages en termes de régularité et de traçabilité.
Il y lieu de constater, également, qu’avant la mise en application de la nouvelle réglementation sur les chèques, les paiements scripturaux étaient dominés par le virement bancaire, suivi du chèque, puis du prélèvement automatique et enfin de la lettre de change.
Selon les résultats de l’enquête, le classement des paiements scripturaux s’est inversé aujourd’hui. Ainsi, les lettres de change et les virements (16%) partagent, désormais, la première place, devant la carte bancaire (14%), le nouveau chèque (7%) et la domiciliation (0,4%). Pour l’IACE, ce changement témoigne d’un bouleversement des habitudes de paiement scriptural suite à la réforme.
Par contre, dans les milieux professionnels, on constate une relative augmentation des virements et effets de commerce, ce qui laisse penser que des mécanismes de substitution au chèque ont été intégrés, souvent par nécessité.
S’agissant de difficultés rencontrées par les consommateurs depuis l’introduction de la nouvelle réglementation encadrant l’usage des chèques, une part significative des répondants déclare avoir rencontré des difficultés pour effectuer certains paiements.
Ces chiffres montrent que, bien que la réforme soit récente, elle a déjà un impact tangible sur les habitudes de consommation et la fluidité des transactions. D’ailleurs, 29% des consommateurs ont renoncé ou reporté un achat prévu depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi
L’enquête a également porté sur l’impact de la nouvelle réglementation sur les intentions d’achat des consommateurs ainsi que sur l’évolution des prix des produits particulièrement sensibles à l’achat par chèque. En effet, il en ressort qu’une part significative des répondants, soit 29%, souligne avoir renoncé ou reporté un achat prévu depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi.
Des inquiétudes, mais également des indicateurs positifs
Pour revenir au rapport de la BCT, notons que d’après ses données, le montant des billets et monnaies en circulation (BMC) a enregistré jeudi 29 mai 2025, un montant de 24 315 milliards de dinars contre un montant de 21207 milliards enregistré à la même date de l’année dernière, soit une hausse de 3108 millions de dinars.
Pour rappel, un record a été enregistré mercredi 28 mai du montant des billets et monnaies en circulation à 24 188.
Selon l’analyste économique et financier, Bassem Ennaifer, la première hausse de la BMC, a été enregistrée au cours du mois de mars 2025, et plus précisément, la veille du mois de Ramadan.
Pour cette fois-ci, la hausse de la BMC est expliquée par l’avènement, dans quelques jours, de l’Aïd Al Idha, étant donné que la majeure partie de cet argent servira à l’achat de moutons du sacrifice. Ces derniers n’ont jamais été achetés par chèques, mais plutôt en espèces ». « C’est un effet catalyseur classique qu’on observe chaque année, mais, les montants sont sûrement plus importants, cette année, en raison de l’effet inflationniste », a, encore, noté l’analyste financier qui estime que cette hausse de la BMC ne peut pas être expliquée, au moins pour cette fois-ci, par la nouvelle loi sur les chèques.
Ennaïfer demeure positif, malgré tout : « La hausse du volume de l’épargne en Tunisie, favorise l’amélioration des rendements et des revenus des placements, que les ménages utilisent surtout lors des fêtes religieuses, considérées comme des dates clés dans la culture tunisienne. L’augmentation de la BMC est expliquée, aussi, par la hausse de la monnaie scripturale, qui est potentiellement transformée en billets et monnaie en circulation plus tard, lors de leur utilisation dans les transactions économiques en liquide. Durant la période février 2024- février 2025, cette masse a augmenté de 3 697 MD, ce qui explique l’augmentation aussi importante de la BMC».
C’est dire qu’il va falloir attendre encore quelque temps pour évaluer plus objectivement ces changements en matière de dépenses du cash et du comportement vis-à-vis de la nouvelle loi sur les chèques.
Kamel ZAIEM