L’Organisation tunisienne des jeunes médecins (OTJM) a annoncé, jeudi, le maintien de la grève de cinq jours, prévue à partir du jeudi 12 juin, et le boycott des stages à partir du 1er juillet en signe de protestation contre la dégradation de leur condition de travail, en dépit de l’augmentation de la prime mensuelle du « service civil » accordée aux blouses blanches effectuant leur service national au sein des établissements publics de santé.
« Nous saluons la décision des autorités relative à la révision à la hausse du montant de la prime mensuelle du service civil, mais la grève prévue à compter du 12 juin est maintenue, tout comme le boycott des stages à partir du 1er juillet, car nous avons encore des revendications en suspens que le ministère de la Santé doit satisfaire », a déclaré le vice-président de l’Organisation, Baheddine Rabîi.
Un arrêté conjoint publié le mercredi 4 juin 2025 par le ministre de la Défense nationale, la ministre des Finances et le ministre de la Santé publique, a fixé à 2000 dinars par mois le montant de la prime spéciale accordée aux jeunes Tunisiens appelés au service civil et affectés au ministère de la Santé, ainsi qu’aux structures affiliées.
Cet arrêté précise aussi que le ministère de la Santé prendra en charge le paiement des cotisations sociales et la couverture médicale durant l’année du service civil.
Dans un communiqué rendu public quelques heures seulement après la publication de cet arrêté l’Organisation tunisienne des jeunes médecins a salué la décision du gouvernement, indiquant qu’elle constitue « un début de réponse du ministère de tutelle à certaines revendications légitimes des internes et résidents en médecine. »
Elle a cependant fait état de la persistance de plusieurs revendications en suspens comme les gardes non rémunérées ou rémunérées à des tarifs très réduits (entre 1 et 3 dinars de l’heure) et les salaires mensuels bas.
L’Organisation a mis en garde contre un enlisement de la crise qui pourrait accélérer l’exode des jeunes médecins, de plus en plus tentés par l’émigration.
Plusieurs centaines de médecins internes et résidents et d’étudiants en médecine avaient déjà organisé en mars et avril dernier des mouvements de protestation, dont des marches pacifiques et une grève qui a concerné les activités hospitalières pour les internes et les résidents à l’exception des services des urgences et les séances de garde, ainsi que les activités académiques (stages, cours, examens, travaux appliqués), pour dénoncer le « silence assourdissant » du ministère de la Santé face à leurs revendications. Ils ont notamment dénoncé, à cette occasion le « rythme effréné des gardes mal rémunérées », « les salaires de misère » et « le refus des autorités de tutelle de prêter une oreille attentive à leurs revendications légitimes ».
Statistiques alarmantes
Les jeunes médecins « en cours de spécialisation » revendiquent notamment la révision à la hausse de la rémunération horaire des gardes ainsi que la revalorisation de l’indemnité mensuelle servie aux résidents en médecine, en biologie et en médecine dentaire ainsi que la création d’une indemnité couvrant le risque de contamination par des maladies contagieuses.
Les jeunes médecins soulignent d’autre part la nécessité d’adopter un système de validation des stages basé sur des critères objectifs et non pas sur « l’appréciation personnelle du chef de service » ainsi que l’augmentation du nombre de centres de stages et la mise en place d’un système d’évaluation des centres de formation.
Le statut d’interne en Tunisie est un passage obligé au cours des études de médecine. Pendant leur sixième année, les étudiants sont obligés de faire trois stages de quatre mois dans différents services hospitaliers afin de se confronter au quotidien du métier de médecin et d’acquérir des compétences sur le terrain.
Le résident en médecine est, quant à lui, considéré comme fonctionnaire contractuel de l’Etat tunisien après la sélection par voie d’un concours qui ouvre la voie à la spécialisation en fonction du score obtenu.
Le mouvement de mobilisation des jeunes médecins intervient dans un contexte marqué par un manque de médecins dans les établissements publics de santé, en raison du départ massif des médecins jeunes et moins jeune vers le secteur privé et vers l’étranger. Cet exode incessant a poussé l’Ordre des médecins et les syndicats à sonner le tocsin à plusieurs reprises ces derniers mois, tant les statistiques sont alarmantes. Environ 1500 médecins ont cédé au chant des sirènes en 2024, dont 90 % sont des jeunes praticiens, principalement dans des spécialités émergentes comme la médecine de famille, d’après le conseil de l’Ordre des médecins. Ce chiffre s’ajoute aux quelque 4500 médecins, qui ont quitté le pays durant les trois années précédentes (entre 2021 et 2023). Les pays d’accueil de ces compétences de haut vol sont principalement la France, l’Allemagne, la Suisse et à un degré moindre le Canada, le Qatar et les États-Unis.
Walid KHEFIFI