A l’occasion de la journée mondiale de l’environnement, fixée au 5 juin de chaque année, on avait tiré d’un peu partout la sonnette d’alarme. On souligne l’aggravation inquiétante de la dégradation environnementale en Tunisie, principalement due à la prolifération incontrôlée des décharges sauvages.
La Tunisie ne dispose aujourd’hui que de 13 décharges dites contrôlées, d’une capacité globale de 1,8 million de tonnes. Or, dans la réalité, le pays génère environ 3,3 millions de tonnes de déchets ménagers chaque année. Ce qui fait que plus de 3000 décharges illégales jonchent le territoire, dans des conditions qui menacent aussi bien l’environnement que la santé publique. Pire encore, seulement 4 % de ces déchets sont recyclés, un taux extrêmement bas au regard des standards internationaux, et qui traduit l’échec des politiques de gestion durable des déchets mises en place jusqu’ici.
La gestion des déchets en Tunisie est un véritable enjeu environnemental, sanitaire et économique. Sur le plan environnemental, les décharges sauvages contaminent les sols, les nappes phréatiques et l’air. Sur le plan sanitaire, elles constituent des foyers de maladies, particulièrement dans les zones urbaines périphériques où vivent des populations vulnérables. Par ailleurs, les industries extractives telles que celles concernant l’extraction des phosphates ou le pétrole, ont intensifié la pollution industrielle notamment dans les régions de Gabès et de Monastir. On dénoncé la négligence voire le laxisme dans la gestion des déchets médicaux. « Sur 18 000 tonnes de déchets, 8000 tonnes sont toxiques ». C’est d’autant plus alarmant que l’usine d’élimination des déchets dangereux située à Jradou (gouvernorat de Zaghouan) est toujours fermée. Ainsi, l’absence de filières structurées de tri, de recyclage et de valorisation des déchets prive le pays d’une ressource potentielle en matière d’emplois verts, d’économie circulaire et de transition écologique. Les efforts pour créer un secteur de gestion des déchets moderne, attractif et durable restent timides, mal financés et peu coordonnés.
Faible collaboration entre les parties prenantes
Face à cette situation critique, il est nécessaire de réviser le code de l’environnement. Certes selon ce code, la réhabilitation ou la fermeture des décharges sauvages sont consacrées, avec un appui juridique et institutionnel des autorités publiques à la gestion des déchets. Ce qui a été matérialisé essentiellement par la promulgation de la loi sur les déchets en 1996 et la création de l’Agence nationale de gestion des déchets (ANGED) en 2005. Mais la gestion des déchets est restée dépourvue d’une réelle stratégie. « Seulement un programme à dimension essentiellement environnementale a été défini, décliné en série d’actions avec une faible collaboration entre les différentes parties prenantes aussi bien dans sa conception que sa mise en œuvre ». Déjà, en 2019 Selon une étude du ministère des Affaires locales et de l’environnement « Pour ce qui est du dernier plan de développement, celui qui a vu le jour après la révolution de 2011 et qui s’étale sur la période 2016-2020, paraît plus ambitieux au niveau de la vision et des orientations toute en demeurant toutefois assez général ». Il propose à ce niveau de poursuivre la réalisation des décharges contrôlées déjà programmées et de renoncer graduellement aux opérations d’enfouissement tout en s’orientant vers le recyclage et la valorisation sur la base du tri. Ce mode de planification demeure limité et sommaire comparativement aux problématiques et aux enjeux dans le domaine. « Il est aussi très en dessous des planifications menées en matière de gestion des déchets au sein des institutions concernées. Aussi, la gestion des déchets n’a pas profité au sein des plans de développement d’un intérêt analogue à d’autres secteurs comme celui de l’énergie considéré certainement plus porteur ».
Une meilleure implication des responsables est souhaitable
Les choses ont empiré depuis. En plus du laxisme de certains responsables, à appliquer la loi de manière pondérée. C’est ce laxisme qui est déploré par le Président de la République Kaïs Saïed, qui ne cesse de marteler qu’une loi qui n’est pas appliquée est inefficace. Il faut également un renforcement du contrôle de l’action des responsables, et d’une véritable culture de la redevabilité. Car sans institutions fortes, indépendantes et responsables, le droit, aussi noble soit-il, reste lettre morte. Il est donc urgent de réviser le code de l’environnement d’une part et de réfléchir d’autre part, à l’élaboration urgente d’une stratégie nationale claire et cohérente de gestion durable des déchets. Par ailleurs, la création de centres modernes de tri et de recyclage, en partenariat avec le secteur privé, est nécessaire. Sans négliger pour autant de fermer progressivement les décharges sauvages, avec l’implication active des citoyens, via des campagnes de sensibilisation au tri à la source et à la réduction des déchets. Sans réforme juridique profonde, sans responsabilisation des institutions et sans implication active des citoyens, la prolifération des décharges sauvages, le gaspillage des ressources et la dégradation des paysages continueront de miner les efforts de développement La Tunisie ne pourra relever les défis environnementaux actuels sans une réforme profonde de son système de gestion des déchets. Il ne s’agit plus seulement d’une urgence écologique, mais d’une priorité nationale, tant les répercussions sociales, économiques et sanitaires sont graves et durables.
Ahmed NEMLAGHI
