Quoique le taux du célibat tende à la hausse chez nous alors que celui des divorces ne cesse de s’accroître, il y aura toujours des mariages chez nous. En Tunisie, le nombre de mariages a connu une baisse notable ces dernières années, passant de 110 119 en 2013 à 64 822 entre janvier et novembre 2023. Cette diminution est liée à plusieurs facteurs, dont la crise économique et la dégradation du pouvoir d’achat, le coût élevé des mariages, la baisse de la fécondité et le recul de l’âge au mariage.
Avec l’arrivée de la saison estivale, des milliers d’unions ont pourtant lieu chaque année en cette période très estimée par les couples qui ont choisi de s’unir. Si la conjoncture économique pousse certains couples à serrer la ceinture en optant pour la formule « Mariez-vous pauvres, Dieu vous enrichira », d’autres, en revanche, ne lésinent pas sur les dépenses occasionnées par le mariage, qu’il soit civil ou traditionnel. Joie et bonheur ont rendez-vous chaque été avec les mariés et leurs familles. Mais à quel prix ?
Tradition oblige
Le mariage traditionnel est devenu un calvaire pour la majorité de nos jeunes célibataires qui ont choisi de convoler en justes noces. Ce terme « noces » rappelle toute une série de cérémonies à célébrer une fois qu’on s’est décidé à se marier. D’ailleurs, de telles cérémonies font partie de la tradition à telle enseigne qu’on ne peut pas s’en passer. Il y a donc « les noces » (la cérémonie de mariage), précédées et suivies par « les nuits de noces » (les rites qui y sont reliés et organisés avant et après le jour du mariage), pour arriver enfin au « voyage de noces ». Et dire que chacune de ces cérémonies prête à des dépenses énormes que les familles des mariés doivent engager, histoire de satisfaire les invités qui ne sont jamais comblés et éviter d’être la risée et la médisance des voisins…
C’est ainsi qu’il faut penser jusqu’au moindre détail : le choix de la salle des fêtes, des modèles d’invitation à envoyer, les différents repas à présenter aux invités, les animations qui vont étoffer les soirées des noces, les habits des noces (costumes du marié et robes et accessoires de la mariée, cette fameuse « kissoua » dont rêve chaque fille), la décoration de la voiture de la mariée, le fleuriste qui va procurer le grand bouquet et faire le décor de la chaise nuptiale, la troupe musicale à engager pour animer la soirée, le photographe qui va prendre les photos… Tout cela se paie et souvent à des prix prohibitifs. Même les couples qui ont opté pour une simple cérémonie organisée à la mairie de la ville n’échappent pas à la règle : ils doivent suer sang et eau, souvent pendant plusieurs années, pour parvenir enfin au bout du calvaire et voir leurs rêves réalisés.
Que de temps et d’argent consacrés aux préparatifs !
Les préparatifs du mariage peuvent prendre des années : cela dépend des choix faits par le couple comme ils peuvent être tributaires des caprices et des exigences de la future épouse et de sa famille auxquels le prétendant doit se plier. La mode et les apparences peuvent aussi déterminer la nature des achats dont certains peuvent s’avérer inutiles. La tentation est souvent trop forte devant les promotions faites par les grandes surfaces, les foires des meubles ou les magasins d’électroménagers. Les jeunes fiancés n’hésitent pas non plus à recourir aux banques pour se procurer un crédit en vue de satisfaire des besoins pressants ou imprévus. Inutile de chercher si telles ou telles dépenses sont nécessaires ou superflues : l’essentiel est de faire mieux et de se distinguer ! Qu’elle soit du côté du fiancé ou de la fiancée, la note est toujours salée, du fait que les prix flambent chaque année davantage.
Prenons quelques exemples de préparatifs. D’abord, une fois la date du mariage fixée, il faut chercher vite la salle des fêtes qui soit disponible le jour J. Ces salles sont généralement réservées plusieurs mois avant la date du mariage. Pour la nuit des noces, certains réservent dans un hôtel, ce qui revient souvent plus cher. Le prix de location d’une salle des fêtes varie selon les services fournis et le luxe des lieux ; il se situe en moyenne entre 2000 et 5000 dinars. Parfois, la réservation d’une salle tient d’une véritable prouesse, tellement elles sont prises d’assaut même deux années avant. Ensuite, il faut penser à l’orchestre et aux chanteurs qui vont animer la soirée dont le cachet dépend du degré de la cote de popularité de tel ou tel chanteur. Une troupe de musique avec deux chanteurs peut exiger jusqu’à 2500 dinars ; ce chiffre augmente évidemment avec le nombre de chanteurs. La location de la robe de mariée peut dépasser les deux mille dinars sans compter les accessoires (bijoux, coiffure, maquillage, bouquet…). Il faut aussi débourser pour le photographe, le cameraman et le décorateur. Entre tous ces prestataires de service, il faut compter entre 2000 et 3000 dinars. Les boissons, les gâteaux et les salés demandent souvent une grande somme d’argent, du fait que l’on a toujours tendance à présenter les meilleurs gâteaux de mariage qui se trouvent sur le marché. La voiture qui va amener les mariés jusqu’à la salle des fêtes et les ramener au foyer conjugal ou à l’hôtel à la fin de la soirée est payée assez cher, surtout quand il s’agit d’une limousine qui est en vogue ces dernières années. Un voyage de noces ou un séjour d’une semaine à passer dans un hôtel au bord de la mer fait toujours partie du programme et là encore, il faut mettre le paquet. Pour tous ces préparatifs, les plus nantis, optant pour un grand luxe de détails, doivent sans doute casquer plus. Il faut tenir compte d’autres dépenses imprévisibles qui peuvent gonfler l’addition.
Malgré tout, on continue à se marier
Les couples qui envisagent de se marier cet été sont certainement en train de faire leurs ultimes achats pour être fin prêts le jour J, après avoir conclu les contrats avec la salle des fêtes et la troupe musicale. Demandez-leur combien ils ont déjà dépensé en préparatifs, ils ne sauraient vous répondre avec exactitude car ils ont dépensé sans compter. Mais disons que le coût d’un mariage peut dépasser les 50 000 dinars aujourd’hui, ce qui le rend inaccessible pour de nombreux jeunes. Il y a de quoi décourager pas mal de nos jeunes d’envisager de se marier et d’opter pour le célibat. Cependant, ceux qui optent avec audace doivent payer la facture.
Certes, parmi ces milliers de mariages qui ont lieu chaque été, il y a ceux qui réussissent et ceux qui échouent, sachant que le taux de divorce en Tunisie a augmenté ces dernières années. Depuis 2020, 14 000 cas de divorce ont été enregistrés annuellement, avec une moyenne de 46 cas par jour. Est-ce à dire que le risque de séparation entre les jeunes mariés est devenu très élevé aujourd’hui ? Les chiffres semblent le confirmer. Cependant, l’institution du mariage dans notre société connaît une transformation et une désaffection profondes, mais elle n’est jamais menacée de disparition.
Hechmi KHALLADI