Où en est le projet de loi sur la liberté économique et la lutte contre l’économie de rente ? Déposé il y a quelque temps à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), il tarde encore à franchir les étapes législatives nécessaires à son adoption. Or, il s’agit d’une réforme de fond, qui vise à transformer en profondeur l’environnement des affaires en Tunisie. Ce texte propose notamment, la suppression de plusieurs autorisations administratives jugées inutiles ou excessives, souvent sources de blocage ou de corruption. La dépénalisation de certaines infractions économiques y est également envisagée, afin d’éviter la criminalisation de l’activité entrepreneuriale et de favoriser un climat plus serein pour les investisseurs.
A ce propos, le député Abderrazak Aouidet a déclaré mardi dernier, que le Parlement entamera prochainement l’examen d’une série de réformes législatives, dont la révision de la loi sur la liberté économique en question. Il a expliqué que l’objectif est de supprimer le principe des autorisations administratives, qu’il considère comme inconstitutionnel. Surtout que ceux qui présentent la même demande avec les mêmes documents, ne sont pourtant pas traités de la même façon. Ce qu’il qualifie de forme d’inégalité économique flagrante. Toutefois, Aouidet précise que certaines exceptions pourraient être envisagées, notamment dans des domaines sensibles comme celui de la sécurité ou du social mais la règle générale doit rester celle de la liberté économique. « Chaque citoyen a le droit d’exercer le métier de son choix, et la concurrence doit primer », a-t-il insisté. Il a également mis en garde contre les dérives du système des licences en Tunisie, qu’il considère comme un facteur majeur de blocage économique. À travers ce mécanisme, certains individus ou groupes se retrouvent en position de monopole, étouffant la concurrence et freinant l’innovation. Une remise à plat s’impose. « Lorsqu’un individu obtient une licence exclusive pour exercer une activité, il peut contrôler à lui seul tout un secteur, ce qui nuit à la concurrence et à l’innovation ». En effet, conçu initialement pour réguler certaines activités sensibles ou stratégiques, le système de licences a progressivement dérivé vers une logique de rente, où quelques privilégiés, souvent proches du pouvoir ou bien introduits dans les cercles d’influence, s’arrogent des droits exclusifs pour exploiter un secteur ou un service donné. Ce fonctionnement a créé une économie fermée, peu concurrentielle, où l’accès à l’activité dépend moins des compétences ou de la qualité du projet que des connexions personnelles ou politiques.
Moderniser certaines pratiques et faciliter les procédures
Il en résulte une dynamique économique bloquée, pénalisant les jeunes entrepreneurs, les investisseurs indépendants et l’innovation. Des domaines comme les transports, l’importation de biens spécifiques, les hydrocarbures, certaines professions réglementées ou encore le commerce de gros, sont souvent cités comme exemples d’activités captives, dominées par un nombre restreint d’acteurs bénéficiant de licences exclusives. Il convient également d’entreprendre une réforme de l’administration en modernisant les pratiques administratives. L’administration, en tant qu’organe exécutif chargé d’appliquer les lois et règlements, joue un rôle fondamental dans le fonctionnement de l’État. Toutefois, en Tunisie, son intervention s’est heurtée souvent à un problème de taille, la rigidité des formalités. Ce qui entrave l’activité, démotive les opérateurs et contribue à une forme de défiance croissante vis-à-vis de l’administration. Dans un tel climat, toute initiative législative risque de rester lettre morte si elle n’est pas accompagnée d’une réforme profonde des pratiques administratives. Car tant que l’administration conserve une large marge d’interprétation unilatérale, sans contre-pouvoir ni contrôle efficace, l’insécurité juridique persistera, affaiblissant à la fois l’État de droit et l’environnement économique.
Encourager l’initiative privée pour mieux dynamiser l’économie
Parmi les réformes visant à rétablir l’égalité des chances, il est opportun d’encourager l’initiative privée et de sortir définitivement de la logique du clientélisme administratif. La réforme du système des licences s’inscrit désormais parmi les revendications urgentes pour redynamiser l’économie tunisienne. Cela devrait passer par la suppression des licences inutiles qui bloquent l’accès libre au marché, la numérisation et la transparence des procédures d’attribution et la création d’un cadre juridique qui favorise l’égalité des chances et la libre entreprise. Ces réformes ne se limiteraient pas à la seule sphère économique. Elles revêtent également une dimension profondément politique, car elles visent à démanteler les réseaux d’allégeance, de clientélisme et de favoritisme qui ont durablement affaibli les institutions tunisiennes. Pendant des années, l’accès à certaines activités économiques, à des ressources publiques ou à des postes clés s’est fait davantage sur la base de la proximité avec les cercles de pouvoir que sur celle du mérite ou de la compétence. Ce système a entretenu une économie de rente au profit d’une minorité, bloquant l’initiative et excluant une large frange de la population. Dans un contexte où la Tunisie tente de relancer sa croissance sur des bases plus équitables et durables, la lutte contre l’économie de rente s’impose comme une priorité nationale. Il ne s’agit plus seulement de corriger des dysfonctionnements économiques, mais de restaurer les conditions d’une véritable démocratie économique, fondée sur l’égalité des chances, la transparence et l’ouverture. Ce qui incite à la concurrence loyale et à l’innovation, afin de libérer l’initiative privée, notamment des jeunes et des régions marginalisées et de garantir un cadre réglementaire clair, transparent et prévisible, où les règles du jeu sont les mêmes pour tous. Une orientation qui s’inscrit pleinement dans la politique du Chef de l’État, résolument tournée vers la restauration de la confiance entre les citoyens, les investisseurs et les institutions publiques. L’objectif est clair : offrir à chaque individu, sans discrimination ni privilège, l’opportunité de contribuer au développement national, par son travail, son savoir-faire et son engagement, dans un cadre fondé sur l’équité, la transparence et la responsabilité.
Ahmed NEMLAGHI