Par Slim BEN YOUSSEF
Longtemps, le tourisme tunisien fut un art d’accueillir dans la confiance. On venait comme on descend vers la mer : sans invitation, sans justification. La seule règle était sensorielle : aimer la lumière, la chaleur du sable, le souffle libre.
Mais voici que s’installent des consignes, des injonctions, des barrières invisibles. On commence à trier les tenues, à filtrer les présences. L’accès à la mer, aux hôtels ou aux restaurants dépendrait désormais d’un vêtement, d’un format, d’une case à cocher.
Que veut dire « plage familiale » ? Qu’est-ce qu’une « tenue décente » pour la piscine ?
Ce lexique ne vient pas d’ici.
Les pudeurs de façade n’ont jamais dicté l’hospitalité tunisienne. Ces pratiques n’ont ni racines, ni mémoire. Elles sont récentes, artificielles, importées – sans lien avec nos gestes, nos saisons, nos manières d’accueillir. Elles défigurent un pays fait de pierre chaude, d’étés étendus, de douceur ouverte aux autres.
La loi est claire : nulle exclusion ne peut s’imposer dans l’espace touristique. Car cet espace n’est pas une enclave, mais une extension de la République – ouverte, égale, indivisible.
Mais la loi, aussi limpide soit-elle, ne suffit pas à préserver une culture. Il faut plus : une fidélité ancienne, qui maintient l’esprit des lieux.
La Tunisie n’a jamais appris à filtrer les corps, les liens, les consciences. Elle accueille comme elle respire – à cœur ouvert, avec l’élan des choses simples. Ce rivage n’a jamais été le terrain d’une morale obscure, mais le théâtre d’une vitalité tranquille : légèreté généreuse, abandon à la saison.
Ici, les éléments accueillent sans réserve. Le soleil éclaire les peaux, la mer embrasse les gestes, le sable prolonge les pas. Nos plages offrent l’oubli, le silence partagé, la lenteur sans surveillance. On y vient comme on marche vers l’horizon : librement, sans rendez-vous.
Il n’y a pas de place pour l’ambiguïté : la lumière de notre pays n’humilie pas les corps ; elle les caresse, les délivre, les rend à eux-mêmes.
La liberté ici est une température. Une manière de vivre au présent. D’aimer sans vigilance.
