Par Slim BEN YOUSSEF
On descend vers la mer, camarade lecteur, comme on revient à soi. Il n’y a pas d’âge pour cela. Seulement la lumière qui cogne, un sentier râpeux, le sel qui s’accroche à la peau. La mer est là. Immobile, ancienne.
Elle a vu des mères rire, des enfants plonger, des corps allongés comme des offrandes. Des passions de passage, des amours déjà fatigués, des mains tracer des noms dans le sable. Elle garde tout. Et n’en dit rien.
Du cap Serrat aux falaises de Haouaria, des aiguilles de Tabarka aux plages claires de Kélibia la Blanche, des ports assoupis de Mahdia jusqu’aux îles basses de Kerkennah et aux rivages doux de Djerba, le littoral tunisien est une peau vivante, offerte au vent – parcourue de souvenirs, d’attentes et de silences.
On y entend battre, comme sous la tempe, le désir obstiné d’un pays qui ne renonce pas à sa liberté.
Chaque plage est une page. On y revient pour s’y écrire à nouveau. Ici, on a plongé, sans réfléchir. Là, quelqu’un est resté, quelqu’un est parti. Plus loin, un vieux pêcheur plie ses filets. Ses yeux, lavés par le vent. Un garçon s’abandonne aux genoux d’une fille. Une bouteille vide, scellée dans la roche. Rien ne disparaît. Tout reste, à demi effacé.
Faut-il vraiment rappeler que ce rivage nous appartient tous – comme nous lui appartenons ? Faut-il vraiment redire que cette beauté chancelle, blessée par les sacs qui traînent, les eaux qui puent, les murs qui montent ?
Mais aujourd’hui, camarade, ce n’est pas un réquisitoire que nous écrivons.
C’est une offrande.
À ceux qui pleurent un soleil qui s’efface, qui rient dans les criques vides, qui courent sans raison sur le sable. À ceux qui savent que la liberté a besoin d’espace, d’horizon, de vent salé.
Ce littoral est notre mémoire commune, notre souffle, notre art de vivre. Le garder propre, c’est aimer un lieu comme on garde un secret – sans le dire, sans le souiller, pour qu’il dure encore un peu.
