Comme déjà annoncé, une proposition de loi ambitieuse, visant à instaurer une éducation aux médias et à l’usage des réseaux sociaux dans les établissements scolaires, a été récemment déposée à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et le texte validé par le bureau du Parlement et transmis à la commission de l’éducation. Cette proposition à l’initiative de 82 députés, a pour finalité d’instaurer officiellement une matière intitulée « Education aux médias et à la communication ». Une initiative qui s’inscrit dans un contexte de bouleversements rapides, où la mondialisation numérique et l’internationalisation des modèles éducatifs et culturels exercent une pression croissante sur les repères nationaux.
Face à cette ouverture souvent non contrôlée et non maîtrisée sur le monde, de plus en plus de voix s’élèvent pour alerter sur le risque d’un désencrage identitaire et intellectuel des jeunes générations. La surexposition des élèves aux contenus étrangers, parfois inadaptés ou contraires aux valeurs tunisiennes, combinée à l’absence d’un cadre éducatif clair pour décoder l’information en ligne, menace non seulement la cohésion sociale, mais aussi la capacité des jeunes à s’inscrire de manière critique et constructive dans leur environnement local et national. Raison pour laquelle les initiateurs de cette proposition de loi estiment que l’éducation aux médias devient une urgence pédagogique. Elle permet d’armer les élèves contre les dangers de la désinformation, des discours de haine qui pullulent sur les réseaux sociaux.
Elle vise également à développer chez eux l’esprit critique, la responsabilité numérique et le respect des différences. Mais au-delà de la question médiatique, cette initiative s’inscrit dans une réflexion plus large sur l’orientation du système éducatif tunisien. Certains députés et experts s’inquiètent de ce qu’ils appellent une course aveugle à l’internationalisation, marquée par l’alignement des programmes sur des modèles étrangers, parfois au détriment des réalités économiques et sociales locales. Une telle orientation, mal encadrée, pourrait aggraver la fuite des cerveaux, un phénomène déjà préoccupant, en formant des jeunes plus attirés par l’émigration que par l’investissement dans le développement national.
Outil pédagogique et stratégie contre les défis de l’environnement numérique
Dès lors, l’introduction de l’éducation aux médias à l’école apparaît non seulement comme un outil de protection contre les dérives du numérique, mais aussi comme un levier de réaffirmation d’une éducation citoyenne, enracinée dans les besoins et les priorités de la Tunisie. L’essor du numérique a radicalement transformé l’accès à l’information, bouleversant les repères traditionnels d’apprentissage et de communication. Si cette révolution technologique a permis une démocratisation inédite du savoir, elle a aussi ouvert la voie à de nombreuses dérives, dont la prolifération des fake news, la manipulation des opinions via les réseaux sociaux et, plus récemment, les usages incontrôlés de l’intelligence artificielle. En effet, en l’absence d’un encadrement clair, les usages incontrôlés de l’IA peuvent engendrer des dérives graves, tant sur le plan éthique que social et sécuritaire. Dans ce contexte, l’introduction d’une éducation aux médias et à la culture numérique dans les établissements scolaires tunisiens apparaît non seulement comme un outil pédagogique nécessaire, mais aussi comme une réponse stratégique aux défis posés par l’environnement numérique mondialisé.
Ce projet vise à doter les jeunes générations d’une grille de lecture critique leur permettant de distinguer le vrai du faux, de comprendre les logiques des algorithmes qui façonnent leur vision du monde et d’adopter un comportement responsable dans l’espace numérique. Les dangers sont multiples et ils vont des fausses informations virales et des discours haineux, jusqu’à différentes formes de cyberharcèlement, et l’exploitation des données personnelles. Utilisée sans contrôle et sans éthique, l’IA peut amplifier la confusion et favoriser la manipulation à grande échelle. Sans une formation adaptée, les jeunes risquent de devenir des cibles faciles plutôt que des citoyens éclairés. Le Président de la République Kaïs Saïed avait mis en garde contre les dérives potentielles de l’IA, soulignant qu’elle pourrait représenter un danger imminent si elle n’est pas encadrée et utilisée de manière responsable.
Réaffirmer une éducation citoyenne fondée sur les valeurs
Ainsi, au-delà de la simple prévention, cette éducation aux médias peut jouer un rôle plus profond, à savoir celui de réaffirmer une éducation citoyenne, fondée sur les valeurs de discernement, de responsabilité et d’engagement civique. Elle devient un levier pour « réancrer » les priorités éducatives dans les besoins de la Tunisie qui cherche à préserver sa souveraineté intellectuelle et culturelle face à la domination croissante des contenus et des modèles étrangers. Il s’agit donc de replacer l’école au cœur d’un projet de société, à savoir celui de former non seulement des usagers compétents du numérique, mais surtout des citoyens actifs, capables de participer de manière critique et constructive au développement du pays.
Cela suppose aussi que l’éducation aux médias soit adaptée aux spécificités locales et qu’elle favorise l’attachement aux réalités nationales, sociales, économiques et culturelles. Mettre en place cette nouvelle discipline, afin de protéger la société des usages abusifs de l’IA, tout en encourageant l’innovation responsable et réfléchie, c’est offrir aux jeunes Tunisiens une boussole dans un monde saturé d’informations et de sollicitations numériques. Mais c’est aussi affirmer un choix de souveraineté éducative, en refusant que l’école tunisienne se transforme en simple canal de reproduction de modèles extérieurs. Cela passe par une législation claire, une éducation adaptée et une vigilance collective. À l’heure où se dessine une nouvelle ère numérique et géopolitique, une telle réforme pourrait bien marquer un tournant stratégique dans l’éducation nationale.
Ahmed NEMLAGHI
