Au cours de l’année scolaire 2024-2025, le ministère de l’Education a exigé l’accès aux collèges et lycées pilotes aux élèves ayant obtenu une moyenne égale ou supérieure à quinze sur vingt avec l’affectation de 2 683 élèves cette année dans ces institutions. Chose qui n’a pas manqué de susciter le dépit et la frustration de nombre de parents qui ont longtemps rêvé et souhaité que leur progéniture intègre les rangs de ces établissements garants de réussite et d’excellence. C’est pourquoi ils ont demandé que leurs enfants ayant obtenu des moyennes comprises entre 14 et 14,99 soient inscrits dans des collèges pilotes. Ils ont sollicité le ministère, voire la Présidence de la République, soulignant la nécessité d’une égalité entre les élèves de l’année en cours et ceux de l’année précédente et appelant le Chef de l’Etat à intervenir.
Bonne nouvelle : le ministre de l’Education, Noureddine Nouri, a annoncé, mardi 15 juillet 2025, au sein de l’ARP, que le seuil d’admission aux collèges pilotes a été fixé à 14 sur 20. Cette décision s’inscrit dans le cadre des efforts visant à offrir aux élèves les mieux classés une chance d’intégrer les établissements pilotes. Elle a été prise en application des directives du Président de la République Kaïs Saïed et intervient après une étude approfondie des capacités d’accueil disponibles. Initialement, la capacité totale des collèges pilotes était estimée à 3 850 élèves, avec encore 1 167 places vacantes dans plusieurs établissements.
Garantir les mêmes conditions de travail et d’excellence à tous les élèves
Il est indéniable, comme l’a souligné Oussama Bejaoui, inspecteur général des écoles préparatoires et des lycées, qu’il y a autant d’élèves et enseignants brillants dans les établissements ordinaires que dans les collèges et lycées pilotes. Cette distinction entre établissements pilotes et établissements ordinaires n’a pas lieu d’être, en fait, c’est tout notre enseignement qui doit être piloté en termes de cadre administratif et éducatif, d’infrastructures, de programmes, méthodes d’enseignement, etc. L’Etat, auquel il incombe la responsabilité d’éduquer et d’enseigner, doit œuvrer en conséquence à garantir les mêmes conditions de travail et d’excellence à tous les élèves.
Il ajoute : « Au-delà de la décision et de ses tenants et aboutissants, nous pensons que cette polémique doit servir à ouvrir un débat national sur ce qu’on est convenu d’appeler collèges et lycées pilotes. En principe, le label pilote sous-entend que ces établissements répondent à un ensemble de standards et de critères qui garantissent la qualité de l’enseignement dispensé au sein de ces locaux. Ces critères concernent la plupart des variables qui déterminent en règle générale la réussite du processus d’enseignement/apprentissage. Mais est-ce souvent le cas ? »
« Cela étant, dit-il, en abordant ce sujet, on ne peut s’empêcher de comparer ces établissements dits d’excellence aux autres non labellisés et qui constituent le gros lot de l’école publique. Commençons par les chefs d’établissements qui sont affectés à la direction de ces établissements, ils sont souvent recrutés parmi les directeurs qui ont déjà exercé dans des établissements ordinaires. Il n’y a pas à ce jour à notre connaissance un référentiel définissant un profil type des directeurs appelés à exercer à la tête de ces établissements. Le plus souvent, ce sont les aléas d’un mouvement qui font qu’un tel demande et obtienne d’être nommé à la tête d’un établissement dit pilote. Il y a même des cas où un enseignant, à deux ans de la retraite et souhaitant quitter la classe, est nommé de but en blanc directeur d’un collège pilote. Idem de l’infrastructure qui n’a rien, elle aussi, de « pilote », certains établissements pilotes relevant de bâtiments vétustes qui ne satisfont guère aux critères d’excellence en matière d’infrastructure.
Par ailleurs, les programmes officiels, retenus pour l’enseignement dans ces établissements, n’ont eux aussi rien d’excellent, étant donné qu’il s’agit des mêmes programmes enseignés dans les établissements ordinaires. Au niveau des examens nationaux, là aussi, ces mêmes élèves passent les mêmes épreuves que les autres candidats. Qu’en est-il maintenant des enseignants qui exercent dans ces établissements ? Sont-ils foncièrement différents de leurs collègues travaillant dans les établissements ordinaires ? Certes, l’administration veille à ce que seuls les enseignants compétents et méritants exercent dans ces établissements, mais les exceptions demeurent et puis, il y a beaucoup d’enseignants aussi compétents et méritants qui travaillent dans des établissements « ordinaires » et auxquels revient la lourde responsabilité de former les élèves qui postulent pour ces établissements dits pilotes. Ne leur enlevons pas leur mérite.
Reste maintenant la question essentielle des élèves. C’est vrai, là aussi, que ceux qui rejoignent ces établissements pilotes sont des élèves doués et disposent d’un fort quotient intellectuel, mais il n’en demeure pas moins vrai aussi que tous les élèves doués et disposant d’un puissant quotient intellectuel, pour différentes raisons, ne vont pas poursuivre leurs études dans les établissements pilotes. Des élèves brillants, même de collèges pilotes, échouent dans le concours de neuvième à intégrer le lycée pilote, là où leurs camarades des collèges ordinaires réussissent haut la main. Aujourd’hui, avec toutes les difficultés que connaît notre système éducatif, il serait temps de reconsidérer cette expérience, d’envisager l’option de laisser ces élèves poursuivre leurs études dans les établissements ordinaires afin qu’ils jouent pleinement le rôle de locomotive, et de favoriser un nivellement par le haut. La peur aujourd’hui est que les établissements pilotes continuent, à leur corps défendant, d’appauvrir les établissements ordinaires et de les vider de ressources humaines dont l’apport est incontestablement inestimable ».
Kamel Bouaouina
