Par Slim BEN YOUSSEF
Considérons ceci : chez nous, la liberté tient souvent dans un volant.
La voiture, pour beaucoup, n’est ni un luxe ni un caprice. C’est un outil indispensable, un espace privé, une pièce mouvante qui s’ajoute au foyer. Là où le transport public vacille, elle devient rythme personnel, refuge mobile, vecteur de quotidien. Elle autorise les départs, les retours, les détours. Elle restitue du temps, dilate l’espace, libère des voies.
En Tunisie, le rapport à l’automobile est à la fois utile, vital et charnel. Une voiture, chez nous, se conduit autant qu’elle s’habite. Elle sent l’essence et l’émancipation. Elle prolonge le corps autant qu’elle dessine un territoire. Elle offre la joie discrète d’un itinéraire qu’on trace soi-même. Et c’est déjà beaucoup, dans un pays où l’on se hâte sans jamais vraiment y être.
Mais ce lien intime à la voiture s’est longtemps heurté à deux frontières : celle du pouvoir d’achat – hic endémique – et celle du privilège.
Le FCR – pour ne citer que lui – en est l’allégorie parfaite. Ce dispositif d’importation détaxée, réservé aux Tunisiens vivant ailleurs, fait de l’exil une faveur et de l’ancrage une faute fiscale.
L’étendre aux résidents, même une fois dans la vie, revient à effacer une frontière qu’on croyait naturelle. Offrir cette possibilité à celles et ceux qui n’ont jamais quitté le pays, sinon d’un mois à l’autre, d’une dette à une dépense, c’est reconnaître une autre forme de mobilité – plus discrète, mais tout aussi légitime. Le privilège change de nature quand il devient partageable. L’injustice, elle, recule sous les pas de l’égalité.
Et peut-être qu’un jour, on se souviendra de ce geste comme d’un tournant social. Ce jour-là, on n’aura rien offert : on aura simplement desserré les freins.
