Comme on le sait, dans un communiqué, la présidence du gouvernement a précisé qu’une plateforme en ligne baptisée e-Mouaten (https://www.e-people.gov.tn) a été lancée afin de permettre aux citoyens de signaler en temps réel les obstacles rencontrés dans leurs interactions avec l’administration. Ainsi, la Tunisie s’engage progressivement dans une démarche de modernisation de son administration. Dans ce cadre, la participation citoyenne à l’amélioration du service public apparaît comme un impératif démocratique et une nécessité pratique. Une dynamique qui gagne du terrain, mais qui reste encore à institutionnaliser pour produire des effets durables.
La participation citoyenne, en vue de l’amélioration du service public, est un engagement pour lequel a opté le Président de la République Kaïs Saïed, une dynamique qui gagne du terrain, mais qui reste encore à institutionnaliser.
Car il est vrai que le citoyen est encore loin des rouages de l’administration publique et de ses méandres. Mal informé de ses droits, il peine à récolter le moindre renseignement ou obtenir une quelconque attestation. Il est souvent mal dirigé et ne peut obtenir satisfaction qu’après avoir été renvoyé de service en service et attendu des journées, voire plusieurs semaines ou plusieurs mois. Cela sans compter avec le laxisme dans certains services, dont font preuve ceux qui agissent sciemment pour créer un blocage au sein de l’administration publique. Or l’administration, longtemps perçue comme distante, opaque voire inefficace, est désormais interpellée par des citoyens de plus en plus exigeants, informés et désireux de faire entendre leur voix. Face à ce changement de paradigme, plusieurs initiatives ont été envisagées.
L’une des plus emblématiques reste la plateforme nationale «e-Mouaten» (www.e-people.gov.tn), lancée par la présidence du gouvernement. Ce portail permet aux usagers de signaler en temps réel les difficultés rencontrées dans leurs relations avec l’administration et de suivre le traitement de leurs requêtes. Un pas important vers l’instauration d’un dialogue direct entre l’État et les citoyens. Mais la participation citoyenne ne se limite pas à la dénonciation ou au signalement des dysfonctionnements. Elle peut prendre la forme de consultations publiques, d’enquêtes de satisfaction, ou encore d’ateliers de co-construction des politiques publiques. Plusieurs ministères commencent à intégrer ces pratiques, notamment dans les secteurs de l’éducation, de la santé ou encore des collectivités locales.
Adapter l’action publique aux besoins réels
Cette implication des citoyens est à la fois un moyen de légitimer l’action publique et de l’adapter aux besoins réels des usagers. Car qui mieux que les citoyens eux-mêmes peuvent pointer les incohérences d’un service, les lenteurs administratives ou les obstacles numériques ? En ce sens, la participation citoyenne devient un outil de performance autant qu’un acte de citoyenneté active. Cependant, plusieurs défis freinent encore cette dynamique. L’absence d’une culture institutionnelle de redevabilité, le manque de moyens humains et techniques pour traiter efficacement les remontées citoyennes, ou encore la méfiance persistante entre les administrés et l’administration constituent des freins à lever.
De plus, la participation reste souvent cantonnée aux grandes villes, alors que les régions intérieures souffrent de plus fortes carences en matière de services publics. Selon un rapport interne de 2023 non publié mais évoqué dans les débats parlementaires, moins de 10% des requêtes provenaient de gouvernorats comme Kasserine, Siliana ou Tataouine. Cela s’explique par un manque d’accès à internet. Il importe que cette plateforme soit généralisée et étendue aux zones encore défavorisées. Par ailleurs, il y a pour le moment un manque de suivi ou de réponse de la part de l’administration. De nombreux citoyens signalent qu’ils ne reçoivent aucune suite à leurs plaintes ou leurs requêtes. Pourvu qu’il y ait un meilleur suivi à travers cette plateforme.
Offrir aux citoyens un canal direct à l’administration publique
Car selon le communiqué de la présidence du gouvernement, «cette initiative vise à offrir un canal direct pour faire remonter les problèmes et, le cas échéant, transmettre les pièces justificatives nécessaires à leur traitement. Encore faut-il que les agents publics soient dotés de la formation adéquate en vue de l’utilisation de la plateforme de manière fluide et du traitement du problème en temps opportun. En effet, les retards de traitement, dus à l’absence d’un agent par exemple, obligent les citoyens à se déplacer physiquement, annulant l’objectif de dématérialisation. Il faudrait également que les citoyens aient un impact réel sur les solutions qui seraient prises suite aux réclamations des citoyens.
Une publication officielle doit intervenir afin d’indiquer les mesures prises suite aux réclamations des citoyens concernant une question déterminée. Il est également nécessaire de penser aux personnes peu alphabétisées ou non familières avec le langage administratif, afin de mieux leur adapter l’accès à cette plateforme. Il est donc nécessaire de renforcer la transparence, l’efficacité et l’inclusivité des politiques publiques à travers une participation citoyenne numérique structuréeet équitable en instaurant notamment un écosystème cohérent entre l’administration, les citoyens et les collectivités locales. Il faut un langage simple, des icônes illustrées pour les non-lecteurs.
Renforcer les capacités des agents publics
A cet effet, il est également indispensable de renforcer les capacités des agents publics. L’idée de création d’un Conseil consultatif national pour la participation citoyenne ne peut que contribuer à une meilleure efficacité de cette initiative. Ce conseil serait composé de représentants des citoyens, experts, société civile, administration et parlementaires, afin de mieux évaluer les politiques de participation et émettre les recommandations idoines. Ce projet de réforme n’est pas une simple modernisation technologique. Il doit pour cela, viser à redonner sens à la citoyenneté, à reconstruire la confiance entre l’administration et les citoyens et à faire de la participation une colonne vertébrale du service public en Tunisie.
La participation citoyenne, telle qu’initiée par la plateforme « e-Mouaten » est sans conteste une avancée prometteuse dans la quête d’un service public plus proche, plus juste et plus transparent. Elle donne aux citoyens les moyens d’agir, d’alerter, de proposer et de surveiller, dans un pays où le lien de confiance entre l’État et la société civile s’est depuis longtemps effrité. Les défis sont nombreux, tels que la fracture numérique, la lenteur administrative ou le manque de suivi. Mais elle constitue une pierre ajoutée à l’édifice démocratique. Il faudra du temps, de la volonté politique, des moyens humains et techniques. Mais si l’on donne du sens à l’effort collectif et que l’on inscrit chaque avancée dans une vision de long terme, l’espoir est permis.
Ahmed NEMLAGHI
