Une proposition de loi déposée récemment à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) pourrait marquer un tournant important pour les travailleuses tunisiennes du secteur privé. Portée par la députée Zina Jiballah et soutenue par 26 députés, cette initiative vise à introduire un droit à la retraite anticipée facultatif à partir de 50 ans, pour les femmes ayant accompli au moins 20 ans de service.
Jusqu’ici, les dispositions en vigueur imposent des conditions plus strictes : un minimum de 25 années de travail et au moins, trois enfants pour pouvoir bénéficier de ce droit. La nouvelle proposition supprime donc totalement cette exigence liée à la maternité, ouvrant ainsi la voie à une reconnaissance plus large de la pénibilité du travail féminin, sans passer par la case familiale.
Cette réforme, si elle venait à être adoptée, offrirait davantage de souplesse et de liberté de choix aux travailleuses du privé, souvent confrontées à des rythmes professionnels lourds, notamment dans les secteurs industriels, textiles ou de services, les femmes étant souvent confrontées à de longues heures de travail, avec des salaires bas et des responsabilités domestiques lourdes. Faciliter leur accès à la retraite anticipée serait de nature à la fois à préserver leurs droits, améliorer leur qualité de vie et contribuer à la stabilité des familles. Car il faut reconnaître que le rythme mené par les femmes n’est pas du tout le même que celui mené par les hommes. La proposition s’inscrit dans une logique de justice sociale et d’égalité professionnelle, en tenant compte non seulement des parcours de travail souvent discontinus, mais aussi de la double charge professionnelle et domestique que supportent nombre de femmes actives.
Pour une meilleure justice sociale
Elle permettrait également de préserver la santé physique et mentale des salariées âgées, tout en facilitant le renouvellement générationnel dans les entreprises. Elle s’inscrit dans une démarche d’équité et de justice sociale, d’autant plus que les femmes actives doivent encore composer avec de multiples inégalités professionnelles : salaires inférieurs, précarité de l’emploi, double charge familiale et carrières interrompues. En offrant une possibilité de retraite anticipée non conditionnée par la maternité, le texte vient renforcer l’autonomie des femmes dans leurs choix de vie. Au-delà de la reconnaissance du droit au repos anticipé, le projet pourrait également contribuer à réduire la pression sur les postes d’emploi, en facilitant le départ volontaire des salariées les plus âgées, ce qui pourrait créer des opportunités pour l’embauche de jeunes actifs.
Risques financiers à prendre en compte
Toutefois, il faut tenir compte des risques financiers que pourrait représenter cette initiative pour le système de retraite, déjà fragilisé par une démographie défavorable et un déséquilibre entre cotisants et retraités. Le système de retraite traverse depuis plusieurs années une crise profonde, alimentée par une démographie défavorable, un déséquilibre chronique entre le nombre de cotisants et de retraités, et une soutenabilité financière de plus en plus compromise. Le vieillissement de la population tunisienne est désormais un fait avéré. Selon les projections de l’Institut national de la statistique (INS) et des organisations internationales, la proportion des personnes âgées de plus de 60 ans ne cesse de croître, tandis que le taux de natalité diminue.
Cette dynamique crée une pression croissante sur les régimes de retraite, notamment ceux gérés par la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) et la Caisse nationale de retraite et de prévoyance sociale (CNRPS). Dans ce contexte, les caisses sociales accusent des déficits récurrents, forçant l’État à intervenir pour couvrir les manques à gagner. En 2024, le déficit cumulé des caisses sociales dépassait les 5 milliards de dinars. Une partie non négligeable de ces déficits est liée au régime des retraites, notamment dans la fonction publique. C’est la raison pour laquelle le Président de la République Kaïs Saïed a récemment donné ses instructions au ministre des Affaires sociales Issam Lahmar pour une révision substantielle du rôle des caisses sociales, afin qu’elles remplissent pleinement leur mission.
Proposition d’une réforme globale de la retraite anticipée
Ainsi, le rapport entre actifs cotisants et retraités, autrefois de 4 pour 1, est aujourd’hui proche de 2 pour 1, et tend même à descendre en dessous de ce seuil critique dans certains régimes. Ce déséquilibre signifie que de moins en moins de travailleurs financent les pensions d’un nombre croissant de retraités. C’est la raison pour laquelle certains observateurs sont favorables à une réforme globale du régime de retraite, incluant également les hommes et les différents secteurs d’activité. Surtout dans un cadre où les cotisations sociales sont communes. D’autres appellent même à une retraite anticipée pour les hommes dans des métiers pénibles, ou pour les femmes n’ayant pas 20 ans de service mais vivant une situation sociale difficile.
Quoi qu’il en soit, la proposition de loi en question répond à une logique sociale louable et en cohérence avec les principes de solidarité et d’égalité réelle. Toutefois, elle nécessite une évaluation rigoureuse de sa soutenabilité financière, ainsi qu’une réforme globale et équitable du système de retraite, pour éviter un traitement segmentaire qui risque d’affaiblir encore davantage un système déjà fragilisé. Pour l’heure, le texte devrait être examiné en commission puis discuté en séance plénière. Mais il suscite déjà un débat de fond sur la reconnaissance du travail féminin, la dignité des fins de carrière et la nécessité d’adapter la législation sociale aux réalités actuelles. Cette proposition constitue une avancée pour les travailleuses et la stabilité des familles.
Ahmed NEMLAGHI
