Il fut un temps où la République formait ses enfants ailleurs que dans les salles de classe. Elle les emmenait sur les routes, sous les pins, dans l’ombre salée des plages, autour des feux, en cercle, dans la chanson, dans la nuit aussi. Masayef wa Jawalat était une expérience, un rite, une ascèse douce. Un camp improvisé dans la poussière, un sifflet pour apprendre l’écoute, une poignée de sel jetée sur les peurs. Et un été long comme un seuil pour apprivoiser les autres – ou s’essayer à soi-même. Là, on s’exerçait à la patience, à la parole, à la présence ; on découvrait l’espace, l’effort, la cohabitation.
Et dans cette rencontre, quelque chose de la citoyenneté s’ébauchait.
Comme les Scouts tunisiens, Masayef wa Jawalat portait un double legs : éduquer et divertir, instruire et réjouir, éveiller et distraire. C’était l’école buissonnière de la citoyenneté. Le vivre-ensemble s’y nouait à la cuisine, la parole au théâtre, la mémoire au pas de la marche.
Ces mouvements de jeunesse n’étaient pas parfaits. Ils étaient mieux : ils étaient vivants. Aujourd’hui, ils s’éteignent à petit feu, comme les braises oubliées d’un bivouac national. L’usure est financière, certes, mais aussi structurelle, symbolique, organique. Les murs s’ennuient, les élans se dessèchent, les idées ne tiennent plus debout. Et les enfants ont appris à regarder ailleurs.
Pourtant, Masayef wa Jawalat est une idée qui ne meurt pas. Elle sommeille dans chaque région, chaque visage ancien, chaque mémoire de terrain. Ancrée dans l’histoire sociale du pays, elle attend un sursaut – un geste net, sans emphase. Réformer, ici, c’est reconnaître ces mouvements pour ce qu’ils sont : des pièces actives du projet national.
Qu’on leur donne des missions neuves. Co-gérer des maisons de jeunes, composer des cantines, orchestrer des auberges. Les aider, non à survivre, mais à prendre appui sur eux-mêmes. À conjuguer colonie de vacances, culture du patrimoine et ancrage local. Inventer une économie de la pédagogie – sans en perdre l’élan.
La République ne tient pas toute seule. Il lui faut des terres complices, des rites de passage, des souvenirs à genoux. Elle a besoin d’enfants marcheurs d’herbe – vers les autres, vers le pays, vers eux-mêmes, vers l’inconnu.
