Par Slim BEN YOUSSEF
Il faut rendre à l’enseignant le respect qu’on doit aux porteurs de feu : ces hommes et ces femmes qui, face à la nuit, transmettent encore une clarté obstinée. Veilleurs infatigables d’une lueur tenace, que l’on a vue pâlir, mèche après mèche, dans l’indifférence tiède des années – et les angles morts d’un présent illisible.
L’enseignant fait circuler des éclats de sens dans les creux du chaos ordinaire. Il façonne, patiemment, la seule matière qui vaille : l’esprit libre. Et il demeure ce qu’il n’a jamais cessé d’être – un pilier civilisationnel, un rempart contre l’absurde, un passeur entre les mondes.
Un passeur ? D’intelligences, de récits, de seuils. De doutes aussi, et parfois de poésies perdues. Un Prométhée, voleur du feu ? Ou bien un Hermès discret, chaussé de silence, qui traduit le monde pour ceux qui l’apprennent, et l’enfance, comme un texte retrouvé, pour ceux qui l’ont oubliée.
Revaloriser l’Éducation commence par là : une reconnaissance pleine, existentielle, de ce que représente un enseignant. Gardien d’une promesse collective, artisan d’émancipation, semeur d’imaginaires. Un être à l’écoute d’une langue qui se cherche. Qui croit encore que chaque mot peut faire lumière, que chaque texte peut éveiller une faim.
Réformer l’Éducation, au fond, c’est redonner visage à celles et ceux qui lui donnent voix. Et cela suppose une foi rénovée dans le savoir, à rebours des logiques de classement et de conformité. Repenser l’école comme atelier d’émancipation intellectuelle, l’apprentissage comme processus vivant.
Car l’enseignant enseigne aussi l’échec, le doute, l’inachèvement. Il prépare à chuter sans se briser. Il rappelle que penser, c’est aussi cela : tâtonner, bifurquer, recommencer.
Qu’est-ce que l’échec ? Une syntaxe inachevée, une idée qui hésite, une promesse à venir.
Qu’est-ce que le doute ? Un droit à l’inconfort. Un luxe d’humanité.
Aujourd’hui, le système enferme l’enseignant, le presse, le décourage. Il est temps d’oser une réforme à hauteur d’humain – et surtout, à hauteur de maître. Restaurer les écoles normales. Entretenir les lieux. Libérer les méthodes. Redonner du souffle – pour qu’il puisse transmettre non un programme, mais une manière d’habiter le monde.
Et pour cela, une chose manque – la plus simple, la plus décisive : croire en lui. Comme Camus croyait en Louis Germain. Comme nos grands-parents croyaient en l’école républicaine. Parce qu’il est l’unique pont entre le chaos du monde et l’avenir habitable. Parce qu’en lui se tient encore debout – parfois seul – le dernier messager de clarté.
