La préservation des savoir-faire artisanaux est aujourd’hui menacée. L’artisanat d’art, au-delà de la production d’objets, représente une mémoire collective, une histoire vivante des régions et une approche philosophique du travail manuel. Certains métiers de l’artisanat disparaissent graduellement au profit de modèles industriels. Les produits manufacturés à grande échelle, souvent moins chers, ont envahi le marché national, reléguant les produits artisanaux à une niche plus restreinte. Cette compétition inégale a naturellement conduit à une diminution de la demande pour les produits artisanaux traditionnels et donc à l’extinction de certaines spécialités artisanales. Alors que ces métiers traditionnels disparaissent peu à peu, il est impératif de comprendre l’importance de ces savoir-faire et d’explorer les moyens de les sauvegarder.
Les savoir-faire artisanaux sont bien plus qu’une simple collection de techniques. Ils incarnent une partie essentielle du patrimoine culturel immatériel d’une région et de son identité. Les métiers d’art comme celui du céramiste, sculpteur de pierre, nattier, tisserand sont des expressions vivantes de cette mémoire collective au Cap Bon. Chaque métier porte en lui des techniques uniques, une relation intime avec les matériaux, et une histoire façonnée par des siècles de tradition. Pourtant, comme le disait Mohamed Aleya, céramiste nabeulien, la poterie et surtout la céramique risquent de disparaître faute de matière première, l’argile, acheminé depuis Tabarka à Nabeul : «Sans efforts significatifs pour leur transmission, ce métier est voué à disparaître, emportant avec lui une richesse culturelle inestimable.
Aujourd’hui, les artisans qui pratiquent ces métiers rares se battent pour préserver leurs savoir-faire. Sans le soutien de l’Office d’artisanat ou de programmes d’apprentissage, plusieurs céramistes se trouvent souvent seuls pour former de nouvelles générations. Cet engagement représente un investissement colossal en temps et en argent. L’absence de soutien institutionnel et le manque de reconnaissance aggravent cette situation, laissant ces artisans dans une précarité économique qui décourage les jeunes d’embrasser ces carrières». C’est le cas aussi de la sculpture de pierre à Dar Chaâbane El Fehri, explique le député Sami Rais : «Ce métier est menacé de disparition à cause de sa taxation lors de son exportation sur le marché algérien. D’ailleurs, 60% des artisans ont été obligés d’abandonner ce métier, devenu peu rentable» dit-il.
Le député Sami Rais cite aussi le métier de tisserand à Béni Khiar qui est effectivement en péril, et le manque de matières premières, notamment la laine, est l’une des causes majeures de cette situation. «Cette crise affecte particulièrement les artisans qui dépendent de ces matières premières pour leur production. La survie de ce métier ancestral, emblématique de la ville de Béni Khiar, est donc directement menacée. Ce métier souffre d’une image dévalorisante qui empêche son renouvellement générationnel. En l’absence de perspectives économiques attractives, de nombreux jeunes préfèrent se tourner vers des carrières perçues comme plus modernes et stables», précise-t-il. Il a plaidé pour l’adoption d’une vision globale pour le secteur, appelant à des réformes en profondeur pour améliorer les conditions de travail des artisans concernés et redonner de l’attrait à ce métier.
Le constat est sans appel : plusieurs ateliers d’artisanat peinent à recruter des apprentis. Les jeunes générations, attirées par d’autres horizons professionnels, se détournent des métiers traditionnels, jugés parfois trop pénibles ou insuffisamment rémunérateurs. Cette désaffection met en danger l’avenir de nombreux métiers, dont certains sont déjà en voie de disparition. Comme l’a souligné le président de l’UTICA de Nabeul, Adel Aleya, «la main-d’œuvre qui se fait de plus en plus rare sur le marché,met en péril l’avenir de plusieurs métiers. Il est donc crucial de redynamiser l’attrait pour ces professions et de garantir la transmission des savoir-faire aux générations futures. Le projet pilote initié par l’Office national d’artisanat, le village artisanal, s’attaque donc à la racine du problème en mettant l’accent sur la formation et l’accompagnement des apprentis».
Une mobilisation s’impose pour la survie des savoir-faire
Les artisans d’art se retrouvent donc dans une position délicate : comment continuer à transmettre un savoir-faire, un patrimoine culturel et une expertise technique quand les matières premières se raréfient et que l’incitation économique est faible ? Pour surmonter ces défis, certains artisans d’art se tournent vers l’innovation et l’adaptation. L’intégration des nouvelles technologies dans les processus de création est une voie prometteuse. Des collaborations innovantes entre artisans et entreprises de technologie ou de design permettent de moderniser les pratiques et d’attirer de nouveaux marchés. La disparition des savoir-faire artisanaux représente une perte énorme pour le patrimoine culturel et économique.
Sans un soutien accru, la transmission de ces métiers sera compromise, entraînant une homogénéisation culturelle et une baisse de la qualité et de la durabilité des produits artisanaux. Une mobilisation collective, impliquant artisans, institutions, entreprises et citoyens, est indispensable pour éviter cette issue. La préservation des métiers d’art est un enjeu culturel, économique et sociétal qui mérite une attention et des actions immédiates. C’est dans ce cadre que s’inscrit la création de villages artisanaux destinés à revaloriser les métiers en péril. Ainsi, en marge de l’inauguration de la foire de l’artisanat de Nabeul du 8 au 17 août, le ministre du Tourisme, SoufianeTekaya, et Samir Abid, ministre du Commerce, ont assisté au lancement des travaux de la première phase du projet de village artisanal de Nabeul, d’une durée contractuelle de 360 jours et d’un coût total estimé à 5,35 millions de dinars.
Kamel Bouaouina
