Les chiffres suscitent des interrogations, mais la réalité est bien là, visible dans nos marchés. Les consommateurs ne se bousculent pas pour acheter de la viande rouge, mais les prix continuent à flamber, comme si de rien n’était. Un paradoxe qui exige des explications et des mesures fermes pour rétablir l’équilibre.
Ce qui se passe au niveau des prix des viandes rouges est vraiment mystérieux et contraire aux habituelles règles du commerce, à savoir la loi de l’offre et de la demande.
Car les chiffres sont là pour confirmer une nette baisse de la consommation des viandes rouges (bovine et surtout ovine). La consommation de ce produit est en chute libre depuis un bon bout de temps puisque le consommateur tunisien n’en consomme que 8 kg/an alors que d’autres enquêtes parlent de 6 kg/an seulement.
Il y a eu la période de l’Aïd El Idha qui s’accompagne souvent d’une hausse des prix des moutons. Celle de cette année a vu le prix de la viande ovine atteindre des records (plus de 60D le kg), mais ce qui est surprenant, c’est que passé cette période, les prix n’ont pas baissé. Mieux encore, ils ont continué à flamber pour s’approcher de plus en plus de 70D/kg sans que le consommateur ait une explication claire et convaincante à propos de ce phénomène.
C’est que le consommateur, acculé à se diriger vers les viandes blanches qui demeurent, heureusement, encore accessibles, s’interroge toujours à propos de cette hausse et ne sait plus s’il va être capable d’en consommer comme avant si jamais les prix retrouvent leur réelles références.
A propos de cette baisse de la consommation, rappelons que nos voisins, dont ceux qui profitent du mouton tunisien, consomment beaucoup plus que nous cette viande rouge : 20kg/an pour le Maroc et 15kg/an pour l’Algérie, alors que la consommation atteint des niveaux supérieurs en Europe, comme en France, à titre d’exemple avec une moyenne de 58kg/an !
Quelles sont les véritables raisons de ce phénomène qui se confirme depuis près d’une décennie ? La réponse demeure floue puisque même les professionnels de ce secteur perdent parfois le Nord lorsqu’ils tentent d’en expliquer les causes.
Ce que l’on sait, c’est que les nouvelles pratiques commerciales, et pas uniquement dans ce commerce, ainsi que l’émergence d’une nouvelle classe de profiteurs et de mafias de la spéculation ont donné naissance à ce déséquilibre au niveau de la vente au détail. Tout est lié aux fameux circuits de distribution que les autorités peinent à maîtriser et qui sont sous l’emprise d’intermédiaires capables, souvent, d’imposer leur loi.
Certes, il y a aussi d’autres raisons qui n’encouragent pas à produire ces viandes, à commencer par la forte augmentation du coût de l’alimentation animale. Il s’agit d’un facteur très important qui est en train de causer une diminution du cheptel national, déjà victime d’un fort déséquilibre.
Oui à l’importation, mais…
Que faire face à cette diminution de la production ? L’Etat a opté pour l’importation de viandes rouges roumaines. La première cargaison importée en 2025, comprenant vingt tonnes de viande de veau, a été proposée aux commerçants entre 26 et 35,5 dinars le kilo, mais cette solution ne semble pas arrêter la hausse des prix et le marché est demeuré déséquilibré car, finalement, il ne s’agit que d’une solution temporaire qui ne résout en rien le problème de fond qu’est l’effondrement de la production locale.
Concernant cette option d’importation, il ne faut pas passer sous silence ce qui se passe lors de la réception de ces viandes roumaines. C’est la société Ellouhoum qui réceptionne ces quantités de viande, et son local d’El Ouardia est submergé par un grand nombre d’acheteurs, dont la majorité est constituée, malheureusement, de profiteurs et de spéculateurs qui mettent la main sur la marchandise importée pour l’exploiter à leur manière sur le marché, avec des prix qui frôlent le double de celui d’achat.
Autre facteur important qui a contribué à cette situation, celui des conséquences de la hausse du coût des fourrages qui empêche les éleveurs de rentabiliser leur activité. Beaucoup d’entre eux ont finalement opté pour ce qu’on appelle l’exil économique. Résultat : depuis 2022, plusieurs centaines d’éleveurs ont traversé la frontière pour vendre leurs bovins en Algérie, où les prix de la viande sont plus attractifs. Aujourd’hui, on estime que chaque jour, près de 250 bovins tunisiens passent illégalement en Algérie, ce qui a provoqué la diminution du cheptel et la hausse insensée des prix sur le marché local.
Pour des solutions fermes
Face à cet état des lieux, il va falloir faire preuve de fermeté envers toutes les parties prenantes de ce dossier. L’Etat doit également imposer les mesures déjà prises pour atténuer ce manque de viandes rouges dans nos marchés en usant de plusieurs formules d’intervention dont, essentiellement, l’importation massive de quantités de ces viandes, la multiplication des points de vente de la société Ellouhoum, la création de sociétés communautaires dédiées à l’élevage et la commercialisation de leurs produits, ainsi que la réactivation des structures des domaines de l’Etat qui avaient l’habitude de jouer un rôle intéressant dans ce circuit.
C’est seulement à ce prix que nos viandes rouges pourraient reprendre place aussi bien dans les locaux des bouchers que dans les assiettes des consommateurs.
Kamel ZAIEM
