L’incident qui s’est produit le 2 septembre 2025 dans l’un des quartiers de Marseille, aurait pu passer pour un fait divers quelconque, une bagarre comme celles qui ont lieu entre des bandes rivales pour des règlements de compte. Or cette fois-ci, les choses ont pris une autre envergure avec la descente des policiers sur les lieux et qui n’ont trouvé d’autres moyens pour maîtriser Abdelkader Dhibi, un jeune homme de trente-deux ans, que de lui tirer dessus par une rafale de six balles, le tuant sur le coup. Il avait une matraque et un couteau et les policiers étaient munis de pistolets qu’ils ont de prime abord pointés sur lui, sans essayer de le raisonner ou de l’appeler au calme, tirant sans sommation. La vidéo, largement relayée sur les réseaux sociaux, est sans équivoque.
Il n’avait pas d’arme à feu et donc, on ne peut pas parler de légitime défense. Celle-ci étant une cause d’irresponsabilité en droit pénal, elle ne peut être invoquée que lorsqu’elle est proportionnelle à la gravité de l’agression. Or ce n’est pas le cas en l’occurrence, car il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte. Les policiers auraient pu tirer en l’air pour neutraliser, sans donner la mort ou au pire, viser les jambes. Choisir la rafale mortelle, c’est franchir la ligne rouge qui sépare le maintien de l’ordre de la dérive punitive. Les jurisprudences de la cour de cassation en Tunisie ou en France, s’accordent à affirmer que pour qu’il y ait légitime défense, il faut entre autres que l’acte de défense soit concomitant à l’atteinte. Cela signifie que la riposte doit être faite au même moment que l’attaque. Or, on voit la victime en train de crier mais à aucun moment, elle n’a commencé à attaquer.
Un meurtre injustifié
Cette affaire soulève une question brûlante : dans un pays qui se dit «de démocratie», la sécurité publique peut-elle justifier que l’on tue sans sommation ? Ce pays peut-il se permettre de transformer la légitime défense en un simple paravent juridique derrière lequel se cacheraient des pratiques expéditives ? L’État de droit repose sur une règle fondamentale : la vie humaine n’est pas négociable. La vie de tous les résidents sans exception, abstraction faite de leurs origines ou de leurs couleurs. L’État de droit repose sur une règle fondamentale : la vie humaine n’est pas négociable. C’est la raison pour laquelle le Secrétaire d’État auprès du ministre des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’étranger, a convoqué, l’après-midi du 3 septembre 2025, sur instruction du Président de la République, le Chargé d’affaires par intérim de l’ambassade de France en Tunisie, afin de lui exprimer une protestation très ferme concernant l’homicide commis par des membres de la police française, en lui affirmant qu’il considère cet incident comme un meurtre injustifié. De ce fait, «la Tunisie envisage également d’entreprendre toutes les démarches afin de préserver les droits du défunt et de sa famille et de leur rendre justice», selon un communiqué du ministère des Affaires étrangères.
Distinguer entre faute personnelle et faute de service
En attendant le résultat de l’enquête afin de cerner les responsabilités, la famille du défunt est en droit de demander réparation sur la base de la responsabilité de l’Etat, pour la bonne raison que le ou les policiers qui ont tiré étaient en service. La jurisprudence française est constante depuis des années concernant la distinction entre la faute personnelle et la faute de service. «La faute personnelle est souvent qualifiée de «détachable» en ce sens qu’elle doit se détacher suffisamment du service pour que le juge judiciaire puisse la constater et en tirer les conséquences sans porter une appréciation sur le fonctionnement même de l’administration» et dans ce cas, la responsabilité de l’Etat est exclue. Mais en l’occurrence, il s’agit d’une faute de service, les policiers ne connaissaient pas la victime et n’avaient aucun contact avec elle auparavant. D’ailleurs, Abdelkader Dhibi avait un titre de séjour régulier et en cours de validité et il n’était pas connu des services de police. Les policiers qui ont tiré avaient été appelés par ses détracteurs. Il s’agit d’une simple bagarre qui a dégénéré. D’après la vidéo, il n’était pas en position d’attaque. C’est donc la responsabilité de l’Etat qui est pleinement engagée. Il faut donc démontrer l’existence d’une faute ayant généré un préjudice et le lien de causalité entre les deux. En l’occurrence, la faute incombe à celui qui a tiré sans sommation, d’une manière brusque et de façon aléatoire, sans mesurer les conséquences de son geste. Ce qui a causé la mort de la victime et, par voie de conséquence, un préjudice moral et aussi matériel pour sa famille dont il était vraisemblablement le soutien.
Une procédure est engagée par l’Etat tunisien
C’est la raison pour laquelle l’Etat tunisien a engagé les procédures nécessaires afin de permettre à la famille d’obtenir réparation en vertu de la loi. Entre-temps, et selon le communiqué du ministère des Affaires étrangères, «la Tunisie considère cet incident comme un meurtre injustifié, et attend de la partie française toute la rigueur et la célérité nécessaires dans l’enquête ainsi que dans la détermination des responsabilités. La Tunisie envisage également d’entreprendre toutes les démarches afin de préserver les droits du défunt et de sa famille et de leur rendre justice».
L’attachement indéfectible de l’Etat à la protection de ses ressortissants ne se réduit pas à un slogan diplomatique, il traduit une responsabilité morale et politique, celle d’assurer à chaque Tunisien vivant à l’étranger la sécurité, la dignité et la défense de ses droits. Car la patrie ne s’arrête pas aux frontières, elle accompagne ses citoyens partout dans le monde. C’est là un principe fondateur de la citoyenneté et un signe tangible que l’État demeure le garant ultime de la solidarité nationale. Affaire à suivre.
Ahmed NEMLAGHI
