Depuis plusieurs mois, de nombreux usagers expriment leur mécontentement face à la détérioration notable de la qualité des services Internet. L’Organisation Tunisienne pour Informer le Consommateur (OTIC) a récemment tiré la sonnette d’alarme, dénonçant un service en décalage avec les besoins croissants d’une société de plus en plus connectée. Ce constat, loin d’être anodin, renvoie à des enjeux économiques, sociaux et politiques qui dépassent la simple question technique.
Les plaintes se multiplient : lenteur du débit, interruptions fréquentes, couverture inégale entre les régions et tarifs jugés disproportionnés par rapport à la qualité reçue. Dans un contexte où Internet est devenu un outil indispensable aussi bien pour l’éducation que pour les affaires et la vie quotidienne, cette situation alimente la frustration des citoyens.
L’OTIC a souligné que le consommateur tunisien ne bénéficie pas du service pour lequel il paie, appelant à une intervention urgente des autorités compétentes. Les disparités régionales accentuent encore le problème. Dans les grandes villes comme Tunis, Sousse ou Sfax, la connexion reste parfois instable, mais au moins relativement accessible. En revanche, dans de nombreuses zones rurales, la couverture est partielle, voire inexistante, ce qui creuse le fossé numérique entre les différentes couches de la population. Or, dans un pays où l’égalité des chances est constamment mise en avant, ces inégalités représentent un frein sérieux au développement.
Un frein pour l’économie numérique
La mauvaise qualité d’Internet en Tunisie n’est pas seulement un désagrément pour les particuliers. Elle constitue également un obstacle de taille pour les entreprises, en particulier les start-up et les PME qui cherchent à se développer dans le numérique. Les entrepreneurs dénoncent souvent des coupures intempestives ou un débit insuffisant qui nuisent à leurs activités, à leurs échanges internationaux et à leur compétitivité. La Tunisie ambitionne de devenir un hub technologique en Afrique et en Méditerranée. Mais comment attirer des investisseurs étrangers ou encourager les jeunes talents locaux si la base même de l’économie numérique – l’accès fiable au réseau – reste défaillante ? Les retards dans ce domaine compromettent les efforts de modernisation et risquent d’isoler le pays des dynamiques régionales et mondiales.
Face à cette situation, l’OTIC ne s’est pas contentée de dresser un constat. L’organisation demande que des sanctions soient appliquées aux opérateurs qui ne respectent pas leurs engagements de qualité. Selon elle, il est impératif que l’Instance Nationale des Télécommunications (INT) impose des normes strictes et veille à leur application effective. L’absence de mesures coercitives a souvent laissé aux fournisseurs de services une marge de manœuvre trop confortable, au détriment des consommateurs. Une régulation plus ferme pourrait rétablir la confiance et inciter les opérateurs à investir davantage dans leurs infrastructures. C’est aussi un signal attendu par la société civile, qui réclame plus de transparence dans la gestion d’un secteur stratégique.
Une question sociale et politique
Au-delà des aspects techniques et économiques, la qualité d’Internet touche directement aux libertés et aux droits des citoyens. Dans un pays où la jeunesse représente une large part de la population, la connectivité est perçue comme un droit fondamental. Elle conditionne l’accès à l’éducation, à l’information et même à la participation civique. Les coupures fréquentes ou la médiocrité des services nourrissent un sentiment de frustration, parfois vécu comme une forme d’injustice sociale. Dans un contexte marqué par des tensions entre le pouvoir politique et une partie de la société civile, toute atteinte à la qualité de la connexion est immédiatement interprétée comme un symptôme des dysfonctionnements plus larges de la gouvernance.
Des perspectives d’amélioration, mais un chemin encore long
Les autorités reconnaissent la nécessité de moderniser les infrastructures et de généraliser l’accès au haut débit. Plusieurs projets ont été annoncés, notamment l’extension de la fibre optique et le renforcement de la couverture mobile 4G et bientôt 5G. Toutefois, entre les annonces et la réalité du terrain, l’écart demeure considérable. Pour que la Tunisie puisse réellement tirer profit de la transition numérique, il faudra mettre en œuvre une stratégie cohérente qui associe investissements publics, partenariats privés et suivi rigoureux. La digitalisation de l’administration, l’essor de l’e-commerce et la promotion de l’éducation en ligne ne peuvent réussir que si le socle technologique est solide.
La crise de confiance autour de la qualité d’Internet met en lumière un enjeu central : sans connectivité fiable et équitable, le pays risque de voir ses ambitions de développement freinées. L’appel de l’OTIC résonne donc comme un avertissement, mais aussi comme une opportunité de redresser la situation. Il appartient désormais aux pouvoirs publics, aux régulateurs et aux opérateurs de prouver qu’ils peuvent répondre aux attentes des citoyens et bâtir une infrastructure digne des ambitions du pays. Car dans une économie mondialisée et digitalisée, l’accès à un Internet de qualité n’est pas un luxe, c’est une nécessité vitale pour la croissance, l’innovation et la cohésion sociale de la Tunisie.
Leila SELMI
