Par Raouf KHALSI
«Safeguarding Tunisian Democracy Act of 2023» : c’est le projet de loi introduit au Congrès américain par les sénateurs Jim Rish et Bob Menendez dans un dessein répressif à l’endroit du régime tunisien. Baptisé S. 2006, ce projet est actuellement pendant devant le Sénat. Son objectif : «redémocratiser» la Tunisie sous peine de réduire de 25% l’aide américaine à la Tunisie (dont l’assistance sécuritaire) si «les conditions de démocratie ne sont pas remplies». Il est par ailleurs incitatif, mais toujours sous condition : création d’un fonds de 100 millions de dollars pour «soutenir la démocratie tunisienne à travers l’ARP, la justice, les médias libres et les ONG. Les ONG tunisiennes, justement, voilà donc un financement étranger pour qu’on les aligne sur la même sujétion et une unique allégeance à l’Amérique trumpiste. Ce qui est quand même inédit, c’est que démocrates et républicains se rejoignent dans cette injonction à la Tunisie, eux qui ont des approches antithétiques et ne s’entendent que sur les questions de sécurité géopolitiques, et encore, seulement s’il y a menace directe sur les intérêts américains. En l’occurrence, l’Amérique nous fait trop d’honneur en enclenchant cet arsenal législatif !
Passe encore pour les frais de douane de 25% sur les produits tunisiens exportés vers l’Amérique. Cela n’a pas pour autant déstabilisé le pays. Or, là, nous sommes sur le terrain idéologique, avec la «démocratie» comme leitmotiv, le modèle de prêt-à-porter américain et en vertu duquel l’auguste Amérique a envahi l’Irak, déstabilisé le Moyen-Orient et fait en sorte que l’islam politique jette ses tentacules dans les régimes arabes profitant aussi de la révolution tunisienne célébrée par Obama comme étant la chute des dictatures arabes. Et c’est ce qui s’est produit en Tunisie. La révolution aura été récupérée par les islamistes d’Ennahdha, du reste très liée (anti-symbolisme !) à la «démocratie» américaine.
A la fin des fins, ce projet S.2006 n’a d’autres visées que de replacer Ennahdha au pouvoir dans un vulgaire habillage démocratique. On oublie, donc, l’attaque des Salafistes (bras armé de la mouvance islamiste) contre l’ambassade des Etats-Unis à Tunis. On oublie les six mille djihadistes tunisiens ayant relayé Daech dans les zones de conflit. Voilà donc la démocratie que veut réinstaurer l’Amérique en Tunisie. Et, surtout, la Tunisie doit «payer» pour son appui sans ambages à la question palestinienne.
A ses heures, Alexis de Tocqueville (Déjà au XIXe siècle) avait alerté quant à la «fausse démocratie» américaine. Alexis de Tocqueville est à mettre sur un pied d’égalité avec Montesquieu pour ce qui est de la théorie de la séparation des pouvoirs. Il soulignait en l’occurrence les «vains semblants de liberté» en Amérique sur fond de montée de l’anti-intellectualisme ou la transition vers un régime illibéral. Deux siècles après, son analyse se vérifie.
Entretemps, Trump projette d’envahir le Venezuela et signe un décret en vertu duquel le ministère de la Défense devient ministère de la Guerre. Bel échantillon de la démocratie américaine et de sa vision guerrière du monde ! C’est aussi cela un pays à la civilisation «trouble».
