Pour bien installer leur enfant, les parents n’attendent pas la date du 15 septembre. Les interventions commencent dès fin août, les démarches se multiplient auprès des directeurs régionaux, des directeurs d’écoles et des proviseurs de lycées. Il s’agit de solliciter l’intervention d’une personne influente, exploiter ses relations pour régler une ou plusieurs affaires, avoir recours au fameux «piston». Ce sont de nos jours des pratiques tellement courantes que même ceux qui s’y opposent mettent beaucoup moins de passion et de conviction à les condamner.
La rentrée scolaire est l’une des occasions pour montrer qu’on a des appuis solides et pour en imposer aux autres à travers le pouvoir de ses protecteurs. Ce parent vient de la part de tel grand responsable local ; l’autre est envoyé par un haut fonctionnaire ; le troisième est un proche parent du directeur de l’école ou du surveillant général. Chacun trouve un moyen pour être bien servi, souvent aux dépens des autres qui n’ont aucun soutien pour intervenir auprès de l’Administration scolaire. Ces interventions n’ont en réalité qu’un seul objectif : satisfaire les caprices de l’enfant qui veut étudier avec tel ou tel camarade ou avoir tel ou tel enseignant dans une discipline déterminée.
Faut-il céder aux caprices des enfants ?
Les services demandés font souvent sourire tant ils paraissent mineurs et ridicules. On sollicite l’intervention surtout pour le transfert de son propre enfant ou de l’enfant d’un proche dans un autre établissement que celui où ils sont inscrits ou dans une autre classe, celle où les élèves disposent d’un bon emploi du temps ou de «bons professeurs». C’est parfois un caprice de l’élève qui pousse les parents à recourir aux pistons : celui-ci veut tout simplement changer de décor et de têtes ; celui-là veut rejoindre un(e) camarade privilégié(e) ; cet autre veut étudier dans le lycée le plus proche de chez lui…
Certains parents sont, à la rentrée, très mécontents du groupe dans lequel leur enfant a été affecté ; alors ils mobilisent toutes leurs connaissances pour le faire changer de classe. Les prétextes invoqués sont là aussi du genre irrecevable : le groupe n’est constitué que de fainéants et de nullards ; les enseignants chargés de cette classe sont incompétents ou trop sévères ; on voudrait aussi mettre ensemble son fils et celui de la voisine ou de l’amie de la famille ! On recourt alors au piston pour modifier l’emploi du temps de son fils ou de sa fille afin de le rapprocher le plus possible de celui des parents ; pour éviter à son chérubin les réveils trop matinaux, pour lui épargner encore de rentrer dans l’obscurité, vers dix-huit heures pendant l’hiver…
Cependant, les parents ne doivent pas systématiquement céder aux caprices de leurs enfants, car cela peut les rendre moins responsables et plus exigeants. Il est important de fixer des limites claires, d’être cohérent et d’aider l’enfant à bien accepter les conditions dans lesquelles il doit étudier en comptant sur ses propres capacités pour s’y accommoder peu à peu jusqu’à ce qu’il retrouve son équilibre.
Il est déconseillé aux parents de céder systématiquement aux caprices de leurs enfants. Céder constamment peut entraver le développement de la maîtrise de soi et favoriser un manque de confiance en soi. Il est donc important pour les parents de distinguer entre les besoins réels et les caprices des enfants avant d’entreprendre aucune démarche.
Les profs aussi…
Comme pour les parents d’élèves, les demandes des enseignants confinent quelquefois aux caprices, notamment quand il s’agit d’une modification à apporter dans l’emploi du temps. Il paraît à ce sujet que certains instituteurs et professeurs sont interdits de pareilles faveurs : les mal-aimés ont beau s’appuyer sur des références solides, leurs vœux restent lettre morte. Pour justifier cette fin de non-recevoir, l’administration peut s’attacher aux règlements en vigueur ou invoquer l’horrible chambardement que la satisfaction de la requête peut provoquer dans la répartition horaire et celle des salles, ou encore avancer l’argument de l’impossibilité de faire concorder l’emploi du professeur avec celui de ses élèves.
Cependant, les interventions au profit des profs «pistonnés» font toujours des malheureux : ceux qui n’ont pas de soutien se verront attribuer les emplois de temps les plus inadaptés ou des niveaux formés d’élèves faibles. Ces enseignants sans appui pâtiront certainement des privilèges accordés à leurs collègues «soutenus» : ce sont eux qui auront le plus d’heures creuses sur leurs emplois ; ce sont eux qui travailleront les après-midis et finiront à 18 heures ; ce sont eux enfin qui, dans les établissements à plusieurs étages, enseigneront dans les salles d’en haut ou celles juxtaposées aux latrines.
Bref, ces interventions au profit des parents ou des profs existent bel et bien chez nous. Cependant, il est regrettable que ce type d’intervention, visant à répondre aux désirs immédiats des élèves ou des enseignants, ne soit pas un sujet de recherche dans le contexte de l’éducation.
Hechmi KHALLADI
