Le constat est sans appel. Le ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle, Riadh Choued, a reconnu publiquement que le système de la formation professionnelle traverse une période particulièrement difficile. Ses déclarations, faites dimanche lors de l’ouverture de la Conférence nationale des économes de l’Agence tunisienne de la formation professionnelle (ATFP) à l’Ariana, mettent en lumière une réalité préoccupante, celle de centres vétustes, de programmes dépassés et d’un taux d’abandon alarmant chez les jeunes stagiaires.
Le diagnostic récemment réalisé par le ministère révèle un ensemble de dysfonctionnements structurels qui entravent l’efficacité du dispositif de formation professionnelle. Les problèmes identifiés ne relèvent pas uniquement de la sphère budgétaire. Selon le ministre, il ne s’agit pas de manque de financement, mais plutôt de difficultés liées à la gestion, à l’organisation pédagogique et à l’inadéquation des contenus proposés face aux besoins réels du marché de l’emploi.
De nombreux centres de formation souffrent de vétusté des équipements et de bâtiments délabrés. Ces conditions matérielles décourageantes pèsent directement sur la motivation des stagiaires et nuisent à la qualité des apprentissages. Dans certains établissements, les ateliers pratiques ne disposent plus de machines adaptées aux standards technologiques actuels, ce qui rend difficile la préparation des jeunes à des métiers de plus en plus exigeants et modernisés.
Des approches pédagogiques à repenser
Outre les infrastructures, le ministre a pointé du doigt les méthodes pédagogiques. Les programmes de formation, souvent figés depuis des années, ne répondent plus aux évolutions rapides du marché. Alors que les entreprises réclament des profils qualifiés dans des domaines nouveaux comme le digital, les énergies renouvelables ou l’industrie, les centres de formation peinent à adapter leur offre. Cette inadéquation entre les contenus enseignés et les besoins réels des employeurs explique en partie le désintérêt croissant des jeunes pour la formation professionnelle. Beaucoup d’entre eux perçoivent ce parcours comme une voie de second choix, faute d’y trouver une réelle valeur ajoutée pour leur avenir professionnel.
L’abandon des stagiaires : un phénomène préoccupant
L’évaluation menée par le ministère a également mis en évidence un autre problème majeur : l’abandon fréquent des stagiaires en cours de formation. Ce phénomène est souvent lié à la qualité médiocre des services offerts par les centres. Les conditions de restauration, d’hébergement ou de transport, lorsqu’elles existent, laissent à désirer et alimentent un climat de découragement. À cela s’ajoute l’absence d’activités annexes – sportives, culturelles ou sociales – qui pourraient contribuer à améliorer le cadre de vie des apprenants et à renforcer leur sentiment d’appartenance. Le ministre a rappelé que des accords ont été conclus avec les ministères de la Culture et de la Jeunesse et des Sports pour mobiliser des enseignants d’éducation physique et enrichir l’offre culturelle dans les centres. Une initiative qui vise à donner une dimension plus humaine et attrayante à l’expérience des stagiaires.
Des réformes urgentes à mettre en œuvre
Conscient de l’urgence, le ministère appelle à entreprendre des réformes immédiates. À court terme, il s’agit de moderniser les équipements, de restaurer les bâtiments et d’améliorer les conditions de vie des stagiaires. Mais la réflexion s’inscrit également dans un cadre plus large, celui du plan de développement 2026-2030, qui doit intégrer des réformes structurelles en profondeur. Le ministre insiste sur la nécessité de créer de nouvelles spécialités de formation, notamment dans les régions intérieures. L’idée est de rapprocher l’offre de formation des besoins économiques locaux et de favoriser un meilleur maillage territorial. Ces nouvelles filières devraient couvrir des secteurs porteurs comme la mécanique, l’automobile, les services numériques et l’agro-industrie.
Un partenariat renforcé par le secteur privé
L’avenir du système de formation professionnelle repose aussi sur sa capacité à collaborer davantage avec le secteur privé. Le ministère travaille déjà sur des partenariats concrets. L’un des projets les plus prometteurs consiste à créer 12 000 emplois pour les diplômés en mécanique automobile, grâce à des accords passés avec des entreprises du secteur des composants automobiles. Ce type de démarche illustre une orientation nouvelle : associer les entreprises à la définition des programmes et à l’insertion des diplômés, afin de réduire le décalage entre l’offre de formation et la demande du marché.
Un enjeu stratégique pour l’emploi des jeunes
La formation professionnelle occupe une place centrale dans la politique de l’emploi en Tunisie. Dans un pays où le chômage des jeunes dépasse 35% dans certaines régions, elle peut représenter une véritable bouée de sauvetage, à condition d’être modernisée et revalorisée. Les experts soulignent qu’une réforme réussie permettrait non seulement d’améliorer l’employabilité des jeunes, mais aussi de répondre à la pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans certains secteurs. C’est un enjeu stratégique pour attirer des investissements et stimuler la compétitivité de l’économie nationale.
Le constat dressé par Riadh Choued reflète une réalité connue depuis longtemps, mais rarement assumée avec autant de clarté : la formation professionnelle est à bout de souffle. Si des réformes urgentes ne sont pas entreprises, elle risque de perdre définitivement sa crédibilité et d’accentuer le fossé entre les jeunes et le marché du travail. La Tunisie a besoin d’un système de formation professionnelle moderne, capable de s’adapter aux mutations économiques et de répondre aux aspirations de sa jeunesse. Cela passe par des investissements matériels, mais aussi par une nouvelle vision pédagogique, une meilleure intégration des activités culturelles et sportives, et une collaboration étroite avec le secteur privé.
À l’heure où le pays élabore son plan de développement 2026-2030, l’avenir de la formation professionnelle doit être placé au cœur des priorités. Car c’est en formant aujourd’hui les compétences de demain que la Tunisie pourra relever ses défis économiques et sociaux.
Leila SELMI
