Par Slim BEN YOUSSEF
En Tunisie, l’administration a des airs de décor dystopique : tuyauteries sans issue, machines qui ronflent, formulaires qui prolifèrent comme des moisissures. Fabrique d’attentes en surchauffe, usine de délais égarés : bureaux somnambules, guichets fiévreux, écrans indifférents, tampons voraces. L’air s’y raréfie, les citoyens s’y égarent. Un palais de miroirs où chaque couloir débouche sur une porte close : on y tamponne des papiers et des colères ; on y archive des dossiers et des horizons. Reste à rouvrir les fenêtres – et le sens.
Au fil des décennies, l’État s’est bâti un bestiaire de structures : agences sans mission, conseils sans mémoire, commissions sans avenir, offices sans objet. Créées pour satisfaire des clientèles, elles se maintiennent comme des reliques officielles, nourries par leur inanité même. Elles battent l’air, avalent le budget, étouffent la volonté. Chacune n’est qu’un tuyau greffé sur une canalisation déjà fissurée. Et dans ce labyrinthe de parapheurs, le dossier serpente, s’embourbe, disparaît. Ici, le dédale tranche : l’impasse est souveraine.
La réforme ne peut plus attendre. Elle réclame un inventaire : lucide, implacable, méthodique, total. Séparer le vivant du mort, irriguer les organes utiles, couper les excroissances stériles. Éradiquer la prolifération des doublons, ces entités jumelles qui se regardent sans jamais se rencontrer. Remédier, c’est trancher : supprimer ce qui asphyxie, ce qui parasite, ce qui détourne, ce qui gangrène.
De l’inutile à l’essentiel ? La réforme est un scalpel ; l’architecture, ses piliers. Celle de l’essentiel en exige quatre : clarté des mandats, rapidité des procédures, sobriété des moyens, lisibilité des comptes. Débrancher les machines somnambules, libérer les énergies vivantes : l’heure a sonné.
Un État allégé gagne en vigueur ; une administration resserrée, en justesse ; un service public épuré, en clarté. L’absurde institutionnel n’est qu’une pathologie : symptôme d’une machine déshumanisée qu’il faut refonder sur l’humain, la dignité, le service réel. Simplifier est un traitement d’urgence : c’est en allégeant sa carcasse que la Tunisie retrouvera son souffle.
