Des cas d’asphyxie ont été déclarés dernièrement à Gabès. Une vingtaine d’habitants à Ghannouch ont été admis, mardi dernier à l’hôpital de la région, pour avoir inhalé des gaz provenant du Groupe chimique tunisien. Ils présentaient des symptômes d’asphyxie. Selon une source médicale citée par une radio de la place, les patients ont été rapidement pris en charge et leur état ne suscite pas de risque vital. Si l’incident a été rapidement maîtrisé, il a néanmoins ravivé un climat d’inquiétude latent dans la région.
Il faut dire que depuis plusieurs décennies, Gabès et ses environs vivent au rythme des rejets de l’industrie chimique. Le bassin industriel qui est certes vital pour l’économie nationale, est également régulièrement accusé de porter atteinte à l’environnement et à la santé des habitants.
Les cas d’asphyxie recensés mardi dernier, rappellent, une fois encore, la fragilité de l’équilibre entre développement économique et respect des normes environnementales. Suite à cet incident, le conseil régional à Ghannouch a publié un communiqué, le soir même, dans lequel il a dénoncé la grave menace pour l’environnement et la santé publique. Il a rappelé que le droit à un environnement sain est inscrit dans la Constitution tunisienne et renforcé par les engagements internationaux du pays. Il a également accusé certaines entreprises industrielles de ne pas se conformer aux standards sanitaires et environnementaux. Ce qui engage leur responsabilité dans les rejets nocifs qui polluent l’air et mettent en danger la population. Qualifiant ces pratiques de «crime contre les habitants», il a souligné le risque de maladies chroniques qui pèse sur eux. Les élus régionaux ont d’ailleurs appelé à l’ouverture d’enquêtes pour identifier les responsabilités et exiger des mesures immédiates afin de limiter les émissions polluantes.
Entre droit à la santé et tissu industriel vital : le dilemme
En fait, cet incident relance un débat qui n’a jamais été véritablement tranché, à savoir comment concilier l’activité industrielle, source d’emplois et de devises, avec la préservation de la santé publique et de l’environnement. Il s’agit d’un vrai dilemme. Faut-il d’abord préserver un tissu industriel vital pour l’économie tunisienne, ou donner la priorité au droit fondamental à la santé et à un environnement sain ? Des plans de dépollution ont été annoncés par le passé, mais leur mise en œuvre reste lente et incomplète. Les habitants ne cessent de réclamer une stratégie claire et transparente pour réduire durablement la pollution. En attendant, des solutions technologiques existent pour limiter les rejets polluants, à condition d’y consacrer les moyens nécessaires et de renforcer les mécanismes de contrôle. Le représentant du gouvernorat de Gabès au Conseil des régions et des districts, Mohamed El Gdiri, a appelé le ministère de l’Industrie à relancer les projets environnementaux bloqués afin de renforcer la lutte contre la pollution dans la région.
Urgence de l’adoption de solutions durables
De nombreux rapports environnementaux et mobilisations citoyennes ont déjà souligné l’urgence d’adopter des solutions durables pour réduire l’impact des rejets chimiques. Mais malgré les engagements affichés par les autorités nationales et locales, les mesures concrètes tardent à se traduire sur le terrain. Le représentant du gouvernorat de Gabès a par ailleurs, incité l’Agence Foncière Industrielle, à créer des zones industrielles compte tenu des ressources naturelles et des atouts de développement dont dispose la région. En 2017, le gouvernement avait annoncé la délocalisation du Groupe chimique tunisien vers une zone industrielle intégrée, présentée comme respectueuse de l’environnement et située à une soixantaine de kilomètres. Mais pour les habitants, cette décision ne constitue qu’un simple déplacement du problème, d’autant qu’aucune étude d’impact n’a été rendue publique à ce jour. Mohamed Ali Daymi, enseignant à la faculté des sciences de Gabès, souligne pour sa part que la fermeture de ces industries n’est pas nécessairement la seule option, à condition qu’elles s’engagent dans une véritable politique de responsabilité sociale et environnementale.
Respect des normes environnementales
Parmi les principaux points évoqués, figure, notamment, la sauvegarde de la société de gestion du pôle industriel et technologique de Gabès en difficulté financière. La régulation et le contrôle des émissions du Groupe chimique tunisien demeurent au centre des préoccupations, dans un contexte où les habitants réclament, depuis des années, des solutions industrielles réellement respectueuses de l’environnement. Par ailleurs, parmi les alternatives mises en avant par les experts, il est essentiel tout d’abord de respecter les normes environnementales. Il faut ensuite moderniser les équipements afin de limiter les rejets toxiques. Il est important également de se tourner vers l’investissement dans les énergies renouvelables. Sans manquer de créer des programmes de santé communautaire pour le suivi des populations exposées. Il est enfin nécessaire d’impliquer les habitants dans la gouvernance environnementale.
Passer de la parole aux actes
C’en est précisément le cas à Gabès. Les habitants, les associations et les experts affirment que les solutions existent, mais nécessitent une volonté ferme et une mise en œuvre transparente. Entre promesses de délocalisation, appels à la dépollution et revendications sociales, la région demeure en attente d’une réponse claire et durable. La volonté politique est «le fonds qui manque le moins», surtout que le Président de la République Kaïs Saïd n’a cessé d’appeler à mobiliser les moyens nécessaires pour éradiquer la pollution sous toutes ses formes. Il l’a réitéré à plusieurs reprises à l’occasion de ses visites surprises dans les régions les plus menacées, dont notamment celle effectuée en juillet dernier, pour s’enquérir de la situation environnementale catastrophique causée par les usines environnantes. C’est donc aux responsables au sein de l’administration publique, de passer de la parole aux actes, afin de déployer tous les moyens pour préserver la santé des citoyens et procurer un environnement sain.
Ahmed NEMLAGHI
