Mardi 17 septembre, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) a appelé tous les corps de l’éducation à observer un sit-in de deux heures, de 10h à 12h, dans les établissements scolaires. Cette mobilisation, décidée après une réunion des syndicats de l’éducation le 5 septembre, vise à rappeler les revendications du secteur et à réaffirmer la nécessité de négociations sociales. Mais au-delà de l’événement ponctuel, une question revient inlassablement dans le débat public : pourquoi, à chaque rentrée scolaire, le même scénario se répète-t-il, avec des mouvements de protestation, des cours suspendus et, en bout de chaîne, des élèves contraints de rattraper dans la précipitation des heures perdues ?
Depuis plusieurs années, chaque début d’année scolaire est marqué par des tensions entre syndicats et ministère. Les revendications portent sur les salaires, les conditions de travail, la gestion des carrières ou encore l’organisation des examens. Si ces demandes peuvent être légitimes, la manière dont elles s’expriment – souvent par des sit-in, des grèves ou des arrêts de cours – entraîne une perturbation directe du calendrier scolaire. Cette répétition crée une impression de déjà-vu : élèves et parents s’attendent presque automatiquement à ce que la rentrée s’accompagne d’un bras de fer entre les enseignants et l’administration. La conséquence est une instabilité chronique qui fragilise le climat scolaire et sape la confiance dans le système éducatif.
Les élèves, victimes collatérales
Ce sont les élèves qui paient le prix le plus lourd de ces perturbations. À chaque arrêt de cours, ce sont des chapitres de programme qui prennent du retard, des révisions qui s’accumulent, des enseignants qui se retrouvent à courir après le temps pour finir le programme. Dans les classes ordinaires, ce rattrapage forcé se traduit souvent par une densification des cours, moins de temps pour approfondir les notions, et un enseignement accéléré qui laisse de côté les élèves en difficulté. Pour ceux qui préparent un examen crucial – comme le baccalauréat ou le concours du 9e – l’impact est encore plus grave. Ces élèves n’ont pas le luxe de perdre des semaines de cours. Chaque heure compte, et chaque retard peut compromettre leurs chances de réussite. Pourtant, année après année, ils se retrouvent pris dans le même engrenage, sacrifiés sur l’autel de conflits qui ne les concernent pas directement.
Une responsabilité partagée
Il serait injuste de pointer uniquement les syndicats ou les enseignants. Les grèves ne naissent pas du néant, elles expriment un malaise réel, lié à des conditions de travail souvent difficiles, à une rémunération jugée insuffisante et à des politiques publiques parfois mal adaptées. Mais du côté des autorités, les retards dans les négociations, les promesses non tenues ou le manque de communication alimentent la colère et conduisent inévitablement à la confrontation. Ce dialogue social défaillant, qui se solde presque toujours par des mouvements de grève, révèle un système incapable de prévenir les crises. Or, dans ce bras de fer récurrent, ce sont toujours les élèves qui se retrouvent pis en otages, contraints d’endurer les conséquences de décisions qui les dépassent.
La question du rattrapage
Lorsque les cours reprennent, les enseignants sont sommés de rattraper le temps perdu. Mais comment compenser des dizaines d’heures manquées sans sacrifier la qualité de l’enseignement ? La solution adoptée est généralement un rythme accéléré, qui permet certes de couvrir le programme, mais au prix d’un apprentissage superficiel. Les enseignants eux-mêmes en souffrent : ils se retrouvent à devoir «bâcler» certains chapitres, à avancer trop vite et à enseigner sous pression. La qualité de la relation pédagogique en est affectée, et le rôle formateur de l’école s’en trouve réduit à une course contre la montre.
Y a-t-il une alternative ?
La vraie question, aujourd’hui, est de savoir s’il n’existe pas d’autres moyens pour défendre les droits des enseignants et des cadres éducatifs sans sacrifier les élèves. Ne serait-il pas possible de repenser les formes de protestation, en privilégiant par exemple des actions symboliques, des boycotts administratifs ou des manifestations publiques, plutôt que des arrêts de cours ? De leur côté, les autorités pourraient mettre en place un mécanisme de médiation permanent, permettant d’anticiper les tensions et de trouver des solutions avant que les grèves ne paralysent le système. Un dialogue social plus transparent et plus constructif éviterait que chaque rentrée scolaire ne se transforme en champ de bataille.
Il est compréhensible que les enseignants défendent leurs droits et que les syndicats revendiquent de meilleures conditions pour leurs adhérents. Mais il est tout aussi légitime que les élèves, qui n’ont aucune responsabilité dans ces conflits, ne soient pas pénalisés année après année. L’éducation est un droit fondamental. Elle ne devrait pas être prise en otage dans des luttes sociales. La répétition du même scénario chaque rentrée affaiblit la crédibilité du système éducatif et met en péril l’avenir des jeunes générations.
Il est temps d’imaginer de nouvelles formes de négociation et de protestation, afin que les revendications sociales puissent s’exprimer sans compromettre l’apprentissage des élèves. Car si les problèmes de l’éducation doivent être réglés, ils ne doivent pas l’être au détriment de ceux qui incarnent l’avenir du pays.
Leila SELMI
