Par Slim BEN YOUSSEF
Un élève confie son devoir de maison à la froide lucidité d’un logiciel ; un autre use encore un cahier froissé, privé de l’éclat métallique d’un écran. Cette juxtaposition résume l’essentiel : l’intelligence artificielle a trouvé sa place dans l’école. Mais elle est arrivée sans méthode, sans garde-fou, et son accès reste profondément inégal. Aphorisme : une innovation ne devient nationale que si elle efface les frontières sociales.
L’IA n’ajoute pas une intelligence à l’intelligence, elle la décuple. Elle accélère l’acquisition, élargit la mémoire, stimule la curiosité. Elle favorise pourtant aussi la paresse, délègue l’effort, fige la pensée, entretient l’illusion du savoir. On ne la confondra pas avec un maître, ni avec un penseur, encore moins avec un créateur : elle n’est qu’un instrument d’appui, un miroir de nos propres limites. Instrument de multiplication, elle est ferment d’exploration autant que poison de paresse.
Le défi est social autant qu’éducatif. La fracture numérique s’élargit : là, des enfants guidés par des parents connectés ; ici, des élèves déconnectés dans des foyers démunis. Entre un abonnement premium et un smartphone fatigué, la différence n’est pas qu’instrumentale, elle devient cognitive. L’IA reflète nos inégalités, les grossit, parfois les fige en destin.
Former les enseignants relève de l’urgence nationale. Sans cela, l’école devient un théâtre d’ombres : les élèves manipulent des outils que leurs maîtres ignorent. Une génération plus connectée que ses professeurs révèle un désordre profond. L’enseignant demeure le forgeron de l’esprit critique ; mais un forgeron sans enclume ne produit que des étincelles sans feu.
Les solutions ne manquent pas. Repenser l’évaluation : valoriser la réflexion plutôt que la répétition. Élaborer des guides pratiques enracinés dans notre contexte tunisien. Offrir aux enseignants des ateliers vivants, non des manuels poussiéreux. Donner aux écoles une infrastructure qui garantisse à chacune les mêmes outils numériques. Impliquer enfin les parents, souvent aveugles à ce que leurs enfants font déjà. École, famille, État, société civile : ce quatuor doit devenir la charpente où se dessinera notre avenir.
L’IA est un feu. Livré au hasard, il dévaste ; maîtrisé, il illumine. Notre rôle n’est pas de l’étouffer, mais de l’apprivoiser – apprendre à le gouverner. Car l’éducation, avant la technologie, est l’art de transmuer l’outil en savoir, le savoir en jugement, le jugement en liberté.
