L’intelligence artificielle fait la une de l’actualité. Cette nouvelle technologie est entrée dans les habitudes de nos élèves et étudiants qui adoptent de plus en plus les chatbots d’intelligence artificielle pour leurs besoins quotidiens, allant de la recherche d’informations aux discussions. L’IA se présente comme une solution prometteuse pour enrichir l’apprentissage et optimiser l’enseignement. Mais au-delà des promesses et des innovations, se pose une question essentielle : l’intelligence artificielle est-elle véritablement utile à l’école ? Peut-elle répondre aux attentes des enseignants et des élèves tout en préservant l’essence même de l’éducation ? Les explications de Naceur Ammar, universitaire
Le Temps.news : Les élèves qui utilisent l’IA développent-ils moins de compétences, ou bien s’adaptent-ils simplement aux outils du futur ?
Naceur Ammar L’IA ne réduit pas les compétences, elle déplace leur centre de gravité. Nous avons longtemps valorisé la mémorisation et l’application mécanique de règles — des tâches que les machines accomplissent désormais mieux que nous. Les élèves qui utilisent l’IA ne deviennent pas moins compétents, ils deviennent adaptés à un monde où savoir dialoguer avec une machine, la questionner, interpréter et donner du sens sera plus précieux que réciter un savoir. L’enjeu est d’accompagner ce déplacement plutôt que de le subir.
Faut-il sensibiliser les élèves à un outil qu’ils utilisent souvent sans y réfléchir ? Y a-t-il des risques à utiliser l’IA ?
Oui, car utiliser l’IA sans conscience critique revient à déléguer son jugement. Les risques sont réels : plagiat, dépendance, perte de recul, mais ils révèlent surtout une faille de notre modèle éducatif. L’école doit enseigner non plus seulement à restituer, mais à questionner la source, détecter les biais, mettre en perspective les réponses d’une machine. L’IA devient alors un terrain d’apprentissage de l’esprit critique et de l’éthique, pas seulement un gadget technologique.
L’utilisation de l’IA pour générer du contenu est-elle une forme de triche ou une nouvelle manière d’apprendre ? Va-t-elle favoriser le plagiat ?
Parler de triche, c’est rester prisonnier de l’ancien modèle. Lorsque les calculatrices sont apparues, on les accusait de tuer le calcul mental — mais elles ont libéré du temps pour apprendre l’algèbre, la logique, la modélisation. De la même manière, l’IA peut nourrir le plagiat si l’on reste figé sur l’évaluation de la restitution. Mais si nous redéfinissons l’apprentissage comme création, résolution de problèmes, invention, alors l’IA n’est pas tricherie, mais nouvelle pédagogie.
Les enseignants sont-ils suffisamment formés pour faire face à ces nouvelles technologies ?
Non, car la plupart ont été formés dans un modèle centré sur la transmission de savoirs codifiés. Or, l’IA déstabilise ce modèle. Former les enseignants à l’IA, ce n’est pas seulement leur donner des outils numériques, c’est les aider à devenir des guides vers le sens : comment mobiliser l’IA pour stimuler la créativité, développer le jugement, accompagner l’élève dans sa singularité. Sans cette refondation, l’enseignant risque de rester un surveillant du passé plutôt qu’un éclaireur du futur.
L’IA va-t-elle affecter la valeur des diplômes ? Quel impact sur les nouveaux métiers ?
Les diplômes ont longtemps certifié la capacité à restituer un corpus de connaissances. Mais ce capital symbolique s’érode, car l’IA sait déjà le faire plus vite. La valeur ne résidera plus dans la conformité, mais dans l’impact, la créativité, la résolution de problèmes réels. Les métiers fondés sur l’exécution seront automatisés ; ceux qui résisteront seront ceux où l’humain apporte de l’empathie, du jugement, du sens. L’IA n’abolit pas le diplôme, elle oblige à repenser ce qu’il certifie.
Faut-il accompagner les élèves dans l’utilisation de l’IA ?
Oui, c’est une nécessité civilisationnelle. Le choix est simple :Former des interfaces humaines qui imitent les machines, ou former des êtres humains complets capables de créer, de douter, de collaborer, d’inventer. Accompagner l’usage de l’IA, ce n’est pas apprendre à mieux copier, mais à mieux penser avec. L’école doit devenir le lieu où l’on apprend à faire ce que les machines ne feront jamais : donner du sens, éprouver de l’émotion, inventer des visions collectives. Comme le dit le texte, « les machines calculent, l’humain donne du sens ». C’est ce sens qu’il faut transmettre.
Nous sommes à un carrefour. Si nous continuons à juger élèves et enseignants sur leur capacité à imiter les machines, nous formerons des exécutants d’un monde disparu. Si au contraire nous redéfinissons l’école autour de la créativité, du jugement et de l’intelligence collective, alors l’IA ne sera pas une menace mais l’opportunité d’un nouveau pacte éducatif et social.
Kamel Bouaouina
