Malgré le fait que la Tunisie ait fait d’importants pas en avant en matière de digitalisation, certaines défaillances persistent et appellent à se rattraper. C’est ce que révèle un récent rapport sur l’état des lieux dans ce domaine en Afrique.
Le rapport a été publié il y a deux semaines et il vient présenter l’état des lieux du progrès réalisé dans le continent africain en ce qui concerne la résilience et la souveraineté en matière de maîtrise des données numériques.
Le document, intitulé «Le bond numérique de l’Afrique : cloud, connectivité et intelligence artificielle dans la prochaine décennie» (Africa’s Digital Leap : Cloud, Connectivity & AI in the Next Decade) et qui tente de tracer la trajectoire du secteur numérique dans le continent au cours des 10 prochaines années, s’articule sur trois axes, en l’occurrence l’adoption du Cloud en Afrique en tant qu’infrastructure de stockage et de maîtrise des ressources informatiques, la connectivité et le développement de l’Intelligence artificielle.
Le constat le plus marquant pouvant être souligné dans ce rapport, c’est sans conteste le nombre de bases de données (datacenters) que comptent tous les pays africains, au nombre de 211 unités opérationnelles, selon les auteurs du rapport. Encore faut-il souligner que près de 46% de ces infrastructures sont concentrées dans seulement quatre pays : l’Afrique du Sud, le Kenya, le Nigeria et l’Égypte sur un total de 54 pays.
Qu’en est-il de la Tunisie ?
D’après le rapport en question, notre pays ne dispose que de quatre datacenters, un nombre qui, selon les spécialistes, met à nu une vulnérabilité préoccupante et une forte dépendance vis-à-vis des infrastructures étrangères et même africaines. Cette situation, comparée à ce qui se passe dans les quatre pays africains cités, suscite les questionnements dans un monde où les données numériques sont devenues une arme de domination et un instrument d’influence économique et politique.
Selon les experts, la Tunisie doit impérativement accélérer sa transformation digitale pour adopter pleinement l’économie numérique, un impératif plutôt qu’un choix. Cette transition requiert un contrôle strict des infrastructures numériques et des services gouvernementaux conformes aux normes internationales, ainsi qu’une gestion et une protection optimales des données (collecte, traitement, stockage), afin d’assurer la souveraineté des données. Elle s’appuie également sur la promotion de l’innovation technologique et le renforcement d’une industrie nationale solide, intégrée dans un écosystème technologique dynamique, soutenu par des investissements stratégiques dans des domaines clés tels que l’intelligence artificielle, la cybersécurité, l’Internet des objets et la blockchain.
C’est que les défis sont majeurs et nombreux et les enjeux cruciaux. Les infrastructures numériques sont insuffisantes, avec des disparités régionales et un manque de Datacenters nationaux pour sécuriser les informations critiques. La cybersécurité est un autre point faible, exposant les systèmes et les données à des risques croissants, le classement de la Tunisie a reculé dans ce domaine dans le Global Cybersécurité index 2024.
Soucis numériques et financiers
Il s’agit d’un constat qui surprend quelque peu. Ces spécialistes affirment que bien qu’étant un pays pionnier en Afrique en matière de numérique et d’internet, la Tunisie souffre d’un manque flagrant de restructuration et de personnels spécialisés dans le domaine du Cloud. Le pays a pourtant pu développer ces dernières années une formation de très haut niveau qui ne profite souvent pas au pays à cause de l’incapacité de retenir des milliers d’ingénieurs qui préfèrent aller travailler à l’étranger, principalement en France, en Allemagne et en Italie. Le développement d’une infrastructure numérique solide et sécurisée garantissant une protection optimale des données constitue, à cet effet, un maillon essentiel de la souveraineté numérique. Il est en fait impératif pour notre pays de maîtriser toutes ses données sensibles (gouvernementales, financières, médicales, sécuritaires…) qui doivent obligatoirement être hébergées en Tunisie.
Aujourd’hui, nombreux sont les experts qui établissent un constat pessimiste et alarmiste de la situation en Tunisie, et ce, au vu du fait que la majorité du contenu des entreprises tunisiennes est hébergée à l’étranger. D’ailleurs, il suffit de noter que plus de 95% du trafic internet consommé aujourd’hui par les Tunisiens provient de l’international, contre seulement moins de 5% en local. Ceci dit, ce trafic des données, c’est-à-dire que la consommation d’internet est payée en devises étrangères et devra augmenter davantage par l’implantation de la 5G, devient de plus en plus coûteux pour le pays. Il est donc indispensable de valoriser la donnée en Tunisie afin de réduire le coût et d’encourager l’hébergement des données sur le territoire national.
Que faut-il faire pour remédier à de telles faiblesses ? Il va falloir moderniser les infrastructures numériques et les intégrer dans les politiques de développement en tant que priorité nationale, en plus de la construction de datacenters puissants, résilients et sécurisés, et faire encore plus pour retenir nos ingénieurs, très compétents dans ce domaine. Le gouvernement multiplie les conseils ministériels à ce propos.
Kamel ZAIEM
