Les représentants des organisations syndicales des professionnels de la santé ont plaidé pour l’octroi du droit à la retraite à 55 ans et de nouvelles motivations en matière de rémunération et d’avancement professionnel aux cadres et agents exerçant dans les établissements publics de santé, pour limiter l’exode des «blouses blanches».
Lors d’une séance d’audition par la Commission parlementaire de la santé, de la femme, de la famille et des affaires sociales, tenue mercredi, sur le projet de loi relatif au statut général du secteur de la santé, l’Organisation des jeunes médecins a appelé les députés à accorder aux professionnels de la santé le droit au départ à la retraite à l’âge de 55 ans, en adéquation avec les dispositions du premier article du texte qui classe les professions médicales dans la catégorie des métiers pénibles. Elle a également réclamé l’octroi aux médecins du droit d’exercer une activité privée rémunérée en dehors des horaires de service (congés, jours fériés, week-end, etc.) pour améliorer leur situation financière, et le droit au congé sans solde non assorti de la condition de l’aval de l’administration à tous les agents et les cadres exerçant dans le secteur public.
De son côté, la Coordination nationale tunisienne des cadres et agents de santé a proposé, dans un mémorandum soumis à l’ARP, des amendements au projet de loi élaboré par un groupe de neufs députés, dont la mise en place d’importantes incitations et d’indemnités financières pour le personnel de santé, comme l’instauration d’un 13e mois, ainsi que des avantages financiers liés à l’avancement professionnel et des motivations visant à encourager les professionnels de la santé à exercer dans les régions intérieurs telles que le logement de fonction, le droit à la retraite à 55 ans, la couverture santé complémentaire après la mise en retraite et le durcissement des sanctions pénales relatives aux violences et aux agressions dont sont victimes les agents lors de l’exercice de leur fonction.
Le projet de loi relatif au statut général du secteur de la santé vise notamment à prendre en compte les spécificités du secteur de la santé et de ne pas l’assujettir aux règles générales de la fonction publique datant de 1983. Composé de 96 articles, ce texte porte notamment sur la reconnaissance de la santé comme un métier pénible, la protection du droit syndical dans le secteur, la définition des missions, des salaires et des primes des agents et cadres de la santé, l’avancement professionnel, les congés et la durée de travail des différentes catégories.
Près de 1500 médecins quittent le pays chaque année
L’initiative législative contribuera, selon ses initiateurs, à encourager et à motiver le personnel de santé à travailler dans de meilleures conditions dans le secteur public, ce qui réduira l’exode vers le secteur privé et la fuite des compétences.
La discussion du projet de loi intervient dans un contexte marqué par un manque de médecins et d’autres catégories de soignants, comme les infirmiers, dans les établissements publics de santé, en raison de l’exode massif des «blouses blanches» vers le secteur privé et surtout vers l’étranger. Environ 1500 médecins ont cédé au chant des sirènes en 2024, dont 90% sont de jeunes praticiens, principalement dans des spécialités émergentes comme la médecine de famille, d’après le conseil de l’Ordre des médecins. Ce chiffre s’ajoute aux quelque 4500 médecins, qui ont quitté le pays durant les trois années précédentes (entre 2021 et 2023).
Tout compte fait, une moyenne de 1500 praticiens émigre chaque année, alors que le nombre de médecins fraîchement diplômés qui arrivent sur le marché chaque année ne dépasse pas un millier.
Les pays d’accueil de ces compétences sont notamment la France, l’Allemagne, la Suisse et, à un degré moindre, le Canada, le Qatar et les États-Unis.
Entre 2015 et 2020, environ 3300 médecins avaient déjà trouvé des opportunités de travail à l’étranger, selon l’Institut national de la statistique (INS) et l’Observatoire national de la migration. Et l’hémorragie risque de s’accélérer durant les prochaines années. Une récente étude menée par le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) montre que 70% des médecins de famille et des médecins anesthésistes envisagent d’émigrer. Dans les rangs des internes en médecine, la proportion de ceux qui ont l’intention de le faire dépasse les 80%.
L’exode massif des professionnels de la santé ne s’explique pas uniquement par le niveau des salaires inférieur aux normes internationales, mais aussi par les mauvaises conditions de travail dans les établissements publics de santé. Les soignants sont souvent confrontés à des horaires de travail excessifs, à un manque d’équipements et à une recrudescence des violences dans les hôpitaux publics. Selon un rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) datant de 2022, 55% des médecins tunisiens exerçant dans le secteur public se disent «insatisfaits» de leurs conditions de travail.
Walid KHEFIFI
