La Tunisie est le deuxième plus gros consommateur d’antibiotiques au monde après la Turquie. Elle consomme deux fois plus que la France et une fois et demie plus que la Grèce, classée premier consommateur des antibiotiques en Europe. Malgré une baisse générale sur les dix dernières années, la consommation d’antibiotiques repart à la hausse depuis 2010. L’Organisation mondiale de la Santé tire la sonnette d’alarme et dénonce la mauvaise consommation d’antibiotiques dans certains pays. L’enjeu de santé est mondial, notamment avec l’émergence de bactéries mortelles.
Découverts dans les années 1920, les antibiotiques ont sauvé des dizaines de millions de vies en luttant efficacement contre des maladies bactériologiques comme la pneumonie, la tuberculose et la méningite. Mais au fil des décennies, les bactéries se sont modifiées pour résister à ces médicaments.
La surconsommation d’antibiotiques est la cause majeure de la résistance antimicrobienne. Sans des antibiotiques efficaces et d’autres antimicrobiens, nous allons perdre notre capacité à traiter des infections répandues comme la pneumonie. Les bactéries peuvent devenir résistantes quand les patients utilisent des antibiotiques dont ils n’ont pas besoin, ou bien qu’ils ne terminent pas leur traitement, donnant ainsi à la bactérie une chance de survivre et de développer une immunité.
Le médecin traitant a la capacité de choisir l’antibiotique approprié après avoir identifié le type de bactérie responsable de la maladie au niveau de la partie ou de l’organe touché. Concernant les maladies du nez, de la gorge, du système respiratoire et de la vessie par exemple, il existe un type d’antibiotiques prescrit comme traitement, dont l’efficacité demeure très limitée dans le traitement d’autres maladies. Le médecin de famille ou traitant tient en compte plusieurs facteurs avant de prescrire l’antibiotique, notamment l’âge, la présence de comorbidités, le type d’antibiotique (comprimé, gélule ou sirop), outre l’allergie et les interactions médicamenteuses, étant donné que certains antibiotiques ne peuvent être utilisés ou co-administrés avec d’autres médicaments. La conférence scientifique de l’Association de formation continue des médecins de Ben Arous, a mis l’accent sur la sensibilisation aux méfaits de l’usage excessif d’antibiotiques, en insistant sur la nécessité de prendre l’antibiotique prescrit par un professionnel de santé, qu’il soit médecin ou pharmacien, et en veillant à respecter la période de traitement indiquée et de ne pas l’arrêter même en cas d’amélioration. Dr Héla Antit, présidente de l’Association de formation continue des médecins de Ben Arous, a précisé que la Tunisie occupe une position avancée au niveau mondial en termes de consommation excessive de ces médicaments, ce qui a créé un véritable problème dans la résistance des bactéries Elle a expliqué que «le recours intensif aux antibiotiques, même dans des cas qui ne le nécessitent pas, rend le corps moins réceptif au traitement», appelant les médecins à ancrer une culture de prescription raisonnée de ces médicaments et à éviter la facilité dans leur prescription. Elle a déclaré que le plus grand défi réside dans le changement des mentalités, tant chez les médecins que chez les patients, en soulignant que de nombreux citoyens achètent directement des antibiotiques en pharmacie sans ordonnance, ce qui aggrave leurs risques, considérant que «la responsabilité du médecin réside également dans la persuasion du patient de l’inutilité de prescrire ces médicaments pour les maladies virales, que le corps peut combattre naturellement», en affirmant que «les discussions scientifiques lors de la conférence fournissent des outils pratiques aux médecins pour les aider à prendre la bonne décision sur quand prescrire des antibiotiques et quand les éviter.»
Il est vrai qu’à l’instar de tous les médicaments, les antibiotiques peuvent avoir des effets secondaires bénins tels que des douleurs à l’estomac, la diarrhée et des nausées. Dans certains cas, ils peuvent provoquer une réaction allergique au niveau de la peau, comme des rougeurs, des démangeaisons ou un gonflement du visage, voire une réaction allergique grave nécessitant des soins médicaux. De plus, une consommation excessive d’antibiotiques entraîne des dommages tels que les nausées, une mauvaise digestion, une sensation de ballonnement, la diarrhée, une perte d’appétit, ainsi que des infections fongiques en particulier chez les femmes, suite à l’élimination des bactéries bénéfiques pour le corps, ce qui nécessite un changement d’antibiotiques à plusieurs reprises sans pouvoir tuer les bactéries pathogènes.
La sensibilisation, un axe primordial contre la résistance aux antimicrobiens
La résistance aux antibiotiques, autrefois considérée comme une menace lointaine, est plus que jamais d’actualité, c’est un défi majeur de santé publique à l’échelle mondiale. Selon une étude publiée il y a quelques jours, dans The Lancet, prestigieuse revue scientifique britannique, ce phénomène pourrait entraîner la mort de plus de 39 millions de personnes d’ici 2050. Projections funestes qui inquiètent, avec raison, la communauté scientifique. Celle-ci tire la sonnette d’alarme : les bactéries et autres agents pathogènes développent des résistances aux traitements antimicrobiens connus. La consommation excessive d’antibiotiques provoque l’antibio-résistance, un phénomène qui consiste, pour une bactérie, à devenir résistante aux antibiotiques. Les bactéries exposées aux antibiotiques évoluent et développent des mécanismes de défense qui leur permettent d’échapper à leur action. L’exacerbation des résistances a pris une tournure qui exige une mobilisation générale de la part des instances de santé, des médias et du citoyen. C’est dans ce cadre que s’inscrit la création de l’ART (Antibio-Résistance en Tunisie) qui est le premier réseau tunisien de surveillance de la résistance bactérienne aux antibiotiques. L’objectif principal de l’ART est de surveiller la résistance aux antibiotiques des principales espèces bactériennes isolées dans les principaux centres hospitalo-universitaires tunisiens afin de suivre l’évolution des résistances bactériennes et de détecter l’émergence de nouveaux phénotypes de résistance. Le but principal étant de mettre en place, en collaboration avec le ministère de la Santé publique et les Sociétés savantes, les recommandations pour le traitement des principales infections bactériennes et donc un meilleur usage des antibiotiques. Les résultats de cette surveillance continue ont été régulièrement publiés afin de sensibiliser les prescripteurs à l’importance du problème et de fournir une base de données fiables et sans cesse actualisée. Depuis 2011, ce réseau de surveillance a été élargi à 8 centres hospitaliers. Nombreux aussi sont les médecins prescripteurs qui ne cessent de tirer la sonnette d’alarme face à un accroissement rapide de la résistance aux antibiotiques.
Kamel Bouaouina
