Des centaines de diplômés de l’enseignement supérieur en situation de chômage prolongé ont organisé, hier, un rassemblement de protestation devant le siège de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) pour dénoncer l’injustice qu’ils subissent depuis de longues années, sous le regard complice des différents gouvernements qui se sont succédé depuis la révolution de janvier 2011.
«Emploi, liberté, dignité nationale», «Ni emploi ni espoir, des vies en suspens», «L’insertion directe est la solution» «Les diplômés chômeurs, laissés-pour-compte de la révolution», ont notamment scandé ces protestataires, alors que les députés participaient à une journée académique consacrée à l’examen d’un projet de loi portant sur des dispositions exceptionnelles pour le recrutement des diplômés de l’enseignement supérieur en situation de chômage de longue durée dans le secteur public et la fonction publique.
«Nous ne baisserons jamais les bras. Nous continuerons à donner de la voie dans la rue, jusqu’à ce que le gouvernement reconnaisse notre droit à l’insertion directe sur le marché de l’emploi, sans passer par des concours à la transparence douteuse», a déclaré Yosra Néji, une porte-parole du mouvement des diplômés en situation de chômage de longue durée.
«Alors que le Président de la République ne cesse d’insister sur les principes de l’équité et de la justice sociale pour lever l’injustice que nous subissons depuis plus de quinze ans, voire vingt ans pour certains, le gouvernement est appelé à traduire les paroles en actes en créant une plateforme électronique pour recenser les diplômés chômeurs et les classer par ordre de priorité en fonction de l’âge et de l’année d’obtention du diplôme», a-t-elle ajouté, tout en appelant le Chef de l’Etat à intervenir personnellement pour débloquer la situation via un décret présidentiel.
Le nombre exact des diplômés en situation de chômage prolongé (plus de dix ans selon la définition retenue dans le projet de loi soumis à l’ARP) reste inconnu, les statistiques officielles ne classant pas les chômeurs selon la durée de leur chômage.
Plusieurs députés ont exprimé leur soutien aux protestataires, et appelé l’ARP à examiner en urgence le projet de loi relatif à l’insertion des chômeurs victimes des promesses rompues du diplôme et de l’inadéquation entre les besoins du marché de l’emploi et les formations universitaires.
«Le projet de loi portant sur des dispositions exceptionnelles pour le recrutement des diplômés de l’enseignement supérieur en situation de chômage de longue durée dans le secteur public et la fonction publique a été déjà largement débattu. Les députés reconnaissent les contraintes budgétaires du gouvernement, mais il est grand temps que ce texte révolutionnaire soit examiné en séance plénière et adopté», a souligné le député Saber Jelassi, président de la commission parlementaire de la planification stratégique.
«Le gouvernement a évoqué une proposition législative relative à l’insertion des diplômés qu’elle est en train de préparer, tout en appelant les députés à ne pas se précipiter. Or, cette catégorie de chômeurs ne peut plus attendre éternellement et ressent une grande lassitude face aux promesses non tenues», a souligné de son côté le député Néjib Akremi.
Les diplômés représentent 16,8% du nombre total des chômeurs
Pour sa part, la députée Maha Ameur a pressé le Parlement et le gouvernement à mettre fin à la galère des diplômés en situation de chômage depuis plus de dix ans, estimant que ces derniers «ont été victimes d’une grande injustice durant la décennie écoulée».
En juillet 2020, le Parlement avait déjà voté un article additionnel dans le projet de loi de finances pour l’année 2021, prévoyant des dotations budgétaires pour le recrutement de 10 000 diplômés chômeurs dont la période de chômage dépasse dix ans. Cette mesure s’inscrivait dans le cadre de la Loi n° 38 de 2020, qui établit des dispositions exceptionnelles pour le recrutement dans le secteur public au profit de cette catégorie de chômeurs. Le 16 août 2020, le Président de la République, Kaïs Saïed, a promulgué le texte, qui a été publié dans le Journal officiel. Sa mise en œuvre était cependant conditionnée par la promulgation de décrets, qui n’ont pas eu lieu sous les gouvernements d’Elyès Fakhfakh et Hichem Mechichi.
En juillet 2023, le groupe parlementaire «Pour la victoire du peuple» a présenté au Bureau de l’ARP la proposition de loi n° 23-2023 visant à instaurer des dispositions exceptionnelles permettant aux diplômés de l’enseignement supérieur, au chômage de longue durée et âgés de plus de quarante ans, d’être recrutés directement dans le secteur public.
Les critères de priorité retenus par la commission parlementaire sont l’âge (plus de 40 ans), l’ancienneté du diplôme (plus de 10 ans), la situation familiale (un seul bénéficiaire par famille sans prendre en considération le critère de l’âge) et la situation sociale (priorité aux personnes appartenant aux couches sociales vulnérables et aux personnes handicapées).
Le texte prévoit la création d’une plateforme numérique pour enregistrer les candidatures et classer les dossiers selon les critères définis. Les candidats doivent être inscrits dans les bureaux de l’emploi, ne pas avoir bénéficié de régularisation professionnelle antérieure, ne pas être affiliés à un régime de retraite et de couverture sociale sans interruption, ne pas avoir eu d’identifiant fiscal au cours des deux années précédant l’inscription sur la plateforme, et ne pas avoir contracté un prêt bancaire de plus de 40 000 dinars.
Les candidats retenus devraient être recrutés par vagues successives sur une période ne dépassant pas les trois ans à compter de la promulgation de la loi pour combler les postes vacants dans le secteur public (entreprises publiques, offices, etc.) et la fonction publique, tout en veillant à assurer l’équilibre entre les différentes spécialités lors du recrutement.
Selon le deuxième round des données du Recensement général de la population et de l’habitat 2024 publié fin septembre dernier, les diplômés du supérieur constituent 16,8% du nombre total des chômeurs. Les chiffres de l’Institut national de la statistique (INS) montrent, quant à eux, que le chômage des diplômés atteint 24% au deuxième trimestre 2025, contre 23,5% au premier trimestre 2025.
Le taux de chômage des diplômés du supérieur est ainsi largement supérieur au taux de chômage global, qui a atteint 15,3% au deuxième trimestre, contre 15,7% au premier trimestre de la même année.
Walid KHEFIFI
