La transformation numérique (ou digitale) connaît en Tunisie, comme partout ailleurs, une accélération spectaculaire. Entreprises et particuliers recourent désormais massivement aux outils numériques pour simplifier les opérations, accroître la productivité et moderniser les services. D’autant plus que l’intelligence artificielle (IA) a amplifié ce mouvement, en offrant des solutions toujours plus performantes et précises. Dans le domaine médical, par exemple, certaines interventions chirurgicales sont aujourd’hui assistées, voire entièrement réalisées par des robots guidés par l’IA, illustrant le potentiel immense de ces technologies.
Cependant, comme toute invention, cela constitue une arme à double tranchant. Les mêmes outils qui facilitent la vie quotidienne et professionnelle peuvent être détournés à des fins malveillantes : usurpation d’identité, falsification de documents, espionnage industriel, piratage de données ou encore atteintes à la vie privée. Ces pratiques forment désormais un phénomène mondial, à savoir la cybercriminalité, dont les auteurs exploitent les failles technologiques et humaines pour commettre des délits à grande échelle. En marge d’un colloque organisé récemment sur «Les cybercrimes à l’ère de l’intelligence artificielle et des évolutions technologiques récentes», le ministre des Technologies de la communication, Sofiene Hemissi, a déclaré aux médias que les dernières statistiques indiquent la survenue dans le monde d’une attaque cybernétique toutes les 39 secondes, soit environ 5 à 6 attaques en moins de deux minutes, ajoutant que 70% des entreprises et institutions à travers le monde ont été victimes de cyberattaques au cours des trois derniers mois, et que 30% d’entre elles n’ont découvert ces intrusions qu’après plus de deux semaines.
Culture numérique de la vigilance
En effet, les attaques cybernétiques visent des infrastructures importantes, voire critiques, telles que les systèmes de communication ou encore les réseaux électriques. Sans parler des escroqueries en ligne. La Tunisie n’étant pas à l’abri de ces menaces, il est donc nécessaire de renforcer les dispositifs de cybersécurité et de développer une culture numérique de la vigilance pour limiter les risques. Par ailleurs, il est important de mettre à jour le cadre juridique et institutionnel. Les lois, dont notamment la loi n°2004-5 relative à la sécurité informatique et la loi organique n°2017-42 sur la protection des données personnelles, doivent être adaptées aux nouveaux défis de l’intelligence artificielle. Et ce, dans le but de renforcer les sanctions pénales contre les auteurs de cybercrimes, y compris les fraudes transnationales. D’un autre côté, il est indispensable d’accorder davantage de moyens à l’Agence nationale de sécurité informatique (ANSI) pour surveiller, détecter et neutraliser les menaces. Il faut également protéger les infrastructures critiques dont les banques, les télécommunications, l’énergie, les hôpitaux et l’administration publique qui doivent être placés sous un niveau de sécurité maximal. A côté de ces mesures, il est utile d’intégrer la cyber-éducation dans les programmes scolaires et universitaires et d’envisager des formations en continu pour les fonctionnaires, les agents bancaires et les chefs d’entreprises, afin de les initier aux bonnes pratiques numériques. Il est très important, en plus de toutes ces mesures, de sensibiliser le grand public avec des campagnes d’information à travers lesquelles on explique les dangers de la cybercriminalité, et de promouvoir une image positive de la cyber-vigilance, non pas comme une peur, mais comme un réflexe citoyen.
Conjuguer les efforts entre les structures de l’Etat
Cela dit, et comme l’a souligné le ministre de l’Intérieur Khaled Nouri, il faut une meilleure coordination et un renforcement de la préparation, grâce à la conjugaison des efforts entre les différentes structures de l’État, afin d’assurer la souveraineté numérique en Tunisie. Il a souligné que le ministère s’efforce de renforcer la préparation des agents et de développer leurs compétences et acquis professionnels. C’est d’ailleurs dans ce but qu’un concours de défi cybernétique CTF (Capture the Flag), a eu lieu récemment, en présence de plusieurs cadres des ministères de l’Intérieur et de la Défense nationale. Le ministre a souligné que l’organisation de ce concours et de l’ensemble des activités de la conférence reflète l’engagement du ministère dans la lutte contre toutes les formes de cybercriminalité.
Face à la montée des attaques numériques, la Tunisie doit bâtir une véritable souveraineté numérique, fondée sur une vision stratégique, des capacités technologiques solides et un cadre juridique clair. Protéger les données personnelles, sécuriser les infrastructures critiques (banques, énergie, télécommunications, services publics) et préserver la confiance du public dans les services en ligne sont devenus des priorités absolues. À l’heure où l’économie et la sécurité passent par le numérique, la vigilance devient un acte de citoyenneté. Car la première barrière contre les cyberattaques reste le comportement des utilisateurs. Chaque citoyen, employé ou étudiant doit adopter des réflexes de prudence numérique. La Tunisie dispose des compétences humaines et technologiques pour relever le défi, mais la cybersécurité ne peut reposer uniquement sur l’État. C’est une responsabilité partagée entre les pouvoirs publics, le secteur privé et les citoyens. Dans un monde où les données valent plus que l’or, la vigilance numérique devient un devoir national.
Ahmed NEMLAGHI
