Par Raouf KHALSI
Il nous persécute. Sa « Volonté de Vivre », est présence éternelle ; l’aube de la vie, musique ; la révolte, tragédie et renaissance.
Chebbi n’est pas cet adepte à la sainteté sans Dieu. C’est plutôt le murmure pieux des sens. Un murmure dont la tonalité croît, jusqu’à devenir cri.
Sa place dans le panthéon de la mémoire collective n’est jamais assez grande pour sa stature. Les seuls hommages annuels du 9 octobre ne restituent pas sa dimension à ce chantre universel du cri de la vie. Du cri de la résurgence et de la résilience balayant l’affliction et la fatalité.
Il s’est arrangé pour tout dire en 25 ans. Et pour mourir à 25 ans.
Chaque 9 octobre, anniversaire de sa mort, c’est toujours avec la même tiédeur que le poète de la Tunisie est célébré. Ce poète qui, pourtant, a transgressé les frontières pour s’inscrire dans le combat universel pour l’Homme. Qu’avons-nous eu ? Quelques minables entrefilets sur les journaux, dans les contours figés d’éphémérides répétitifs et sans âme : on est donc en règle avec sa conscience ! Plus encore, commémorations confinées à Tozeur, vaguement à Tunis, tandis que l’audiovisuel est occupé ailleurs, à monter des plateaux médiocres, faits par des commentateurs médiocres et sur des thèmes encore plus médiocres.
« La Volonté de Vivre » et « Ela Toghat al Alem » (deux écrits fondamentaux dans son œuvre) incarnent les magmas existentiels de Chebbi. Ils sont dans les manuels scolaires, mais pour les jeunes élèves, cela reste brut, rudimentaire, sans référentiels historiques, ni
Hyperboliques et encore moins anthropologiques. Mahmoud Messadi voulait corriger la trajectoire, mais il n’en a pas eu le temps…
C’est qu’Aboulkacem Chebbi fait peur. Il fait aussi peur aux islamistes. C’est qu’il a eu le « tort » (tant pis pour lui !) de vouloir adapter l’enseignement zitounien à l’air du temps de l’époque. C’était aussi l’époque où il appelait à s’élever contre les tyrans. Pas uniquement contre l’occupant français.
Or, les coïncidences de l’histoire sont impénétrables. Le 9 octobre de Chebbi se confond dans le 9 octobre de Gaza. C’est que la résistance du peuple gazaoui est, elle-aussi, poésie déchirante. Belle, parce que toujours désespérée. Epique, parce que c’est « La Volonté de Vivre ».
Et voilà que le recul des sionistes sonne le glas pour des « Toghat » (Les tyrans), dans le sens où l’entende Chebbi. D’où vient que personne chez nous n’en établisse le lien…
Et, pourtant, notre poète national est très médiatisé au Moyen-Orient. Sauf que les Orientaux s’en méfient. Parce que, dans leur imaginaire, les Tunisiens restent des Arabes périphériques. Alors même qu’Aboulkacem Chebbi faisait comme Taha Hussein en décryptant (blasphème !) la poésie d’ « Al Jahilyia », soit la poésie préislamique. Al-Azhar lançait la chasse aux sorcières contre Taha Hussein ; Chebbi en a eu à découdre avec les archéos de la Zitouna. Quelle connexion !
Chebbi, lui, n’en finit pas d’avoir raison. En ces temps où les tyrans sont clonés à répétition, l’universalité de « La Volonté de Vivre » reste un combat d’avant-garde. Dans ce monde où sévit la loi du talion, les Palestiniens s’identifieraient à Chebbi comme, peut-être, à Mahmoud Darwich.
Quant à nous, ne confinons pas Chebbi dans une date. Sortons-le de son mausolée. Laissons-le voguer. Faisons en sorte que sa poésie berce toujours les espérances de l’Humanité.
