Les faits divers violents qui secouent régulièrement certaines zones urbaines ne sont plus des incidents isolés, mais les symptômes d’un mal plus profond. Dans les quartiers populaires, où se concentrent chômage, précarité et perte de repères, la délinquance juvénile s’installe comme une réalité sociale alarmante. Entre agressions, vols à la tire, bagarres de rue et trafic de stupéfiants, la violence s’exprime de plus en plus tôt, dans un climat de désespoir et d’impunité.
Les forces de sécurité tirent la sonnette d’alarme depuis plusieurs mois : les actes de violence commis par des mineurs ou de très jeunes adultes se multiplient. Dans les quartiers périphériques de Tunis, Sousse, Kairouan ou Sfax, les affrontements entre bandes rivales sont devenus presque quotidiens. Ces affrontements, souvent filmés et diffusés sur les réseaux sociaux, reflètent un malaise profond. Les jeunes impliqués, âgés parfois de 13 ou 14 ans, ne craignent plus ni la police ni la justice. Certains se vantent même de leurs actes, cherchant reconnaissance et notoriété dans un univers où la violence est devenue un signe de virilité et de domination. Les témoignages recueillis par les habitants évoquent un climat d’insécurité permanent.
Les. commerçants ferment leurs portes plus tôt, les familles évitent de sortir le soir, et les écoles voisines signalent de plus en plus de cas d’agressions ou de harcèlement. Pour beaucoup, la rue n’est plus un lieu de vie, mais un espace de tension.
Les causes sociales d’un phénomène durable
La délinquance juvénile ne surgit pas dans le vide : elle est le produit direct d’un contexte économique et social fragilisé. Dans les quartiers populaires, les taux de chômage des jeunes dépassent souvent les 35%. Le manque d’opportunités, la déscolarisation précoce et la pauvreté transforment ces espaces en foyers de marginalisation. Les jeunes, livrés à eux-mêmes, développent un sentiment d’exclusion et de colère. L’absence de structures de loisirs, de centres culturels ou d’encadrement psychologique aggrave encore la situation. Faute de perspectives, certains cherchent dans la violence ou la délinquance une forme de reconnaissance. Pour beaucoup, l’entrée dans un groupe ou une bande de quartier devient un moyen d’exister, d’appartenir à quelque chose et de se sentir « fort » dans un environnement hostile.
Les sociologues soulignent également le rôle du modèle social : dans des familles déstructurées, où le chômage du père, la précarité ou les tensions domestiques sont monnaie courante, les jeunes reproduisent les frustrations qu’ils subissent. L’école, censée jouer un rôle protecteur, peine souvent à remplir cette mission. Entre classes surchargées, manque de moyens et décrochage scolaire, beaucoup d’adolescents sortent du système sans qualification ni accompagnement.
Le rôle aggravant des drogues et des réseaux sociaux
L’un des facteurs aggravants de la violence juvénile réside dans la prolifération des stupéfiants dans les quartiers défavorisés. La consommation de « zatla » et de comprimés psychotropes est devenue un phénomène massif, souvent dès l’âge de 14 ou 15 ans. Ces produits altèrent le comportement, libèrent les pulsions et désinhibent la violence. Les dealers, quant à eux, recrutent facilement parmi les jeunes désœuvrés, en leur proposant argent rapide et protection. Les réseaux sociaux jouent également un rôle central dans cette nouvelle forme de délinquance. Les bagarres de rue sont filmées, montées et diffusées comme des « défis » . La violence devient un spectacle, un moyen de reconnaissance numérique. Ces vidéos renforcent l’effet d’imitation et favorisent la surenchère. Plus la scène est choquante, plus elle circule. Le phénomène échappe alors à tout contrôle, transformant des rivalités entre quartiers en affrontements organisés.
Une réponse sécuritaire nécessaire mais pas elle-seule
Face à la recrudescence des violences urbaines, les forces de l’ordre multiplient les descentes, patrouilles et arrestations. Des opérations de grande envergure sont menées dans les zones sensibles pour désarmer les bandes, démanteler les réseaux de drogue et restaurer un minimum de sécurité. Ces actions, indispensables, permettent d’apaiser temporairement les tensions, mais elles ne s’attaquent pas aux racines du problème. Les policiers eux-mêmes admettent que la répression ne suffit pas. Chaque vague d’arrestations est suivie d’une nouvelle génération de jeunes délinquants, souvent plus violents encore. Sans un travail social de fond, la violence renaît, alimentée par la frustration et l’absence de perspectives.
La lutte contre la délinquance juvénile ne peut se limiter à des interventions policières. Elle doit s’accompagner d’une stratégie nationale d’inclusion sociale, éducative et culturelle. Les associations locales, souvent très actives dans les quartiers populaires, appellent à un renforcement des programmes de soutien aux jeunes : création d’espaces culturels, activités sportives, formations professionnelles adaptées et accompagnement psychologique. Les éducateurs de rue, rares mais indispensables, jouent un rôle crucial pour retisser le lien entre les institutions et ces jeunes en rupture. Ils offrent écoute, orientation et alternatives à la violence. Mais ces initiatives demeurent marginales faute de moyens et de coordination avec les pouvoirs publics.
Un appel à la responsabilité collective
La montée de la violence urbaine n’est pas qu’une question de sécurité : c’est le reflet d’une crise sociale, d’un sentiment d’abandon et d’une perte de confiance dans l’avenir. Tant que les jeunes des quartiers populaires se sentiront exclus du modèle de réussite et dépourvus de perspectives, la violence restera leur seul langage d’expression. Les familles, l’école, les institutions et la société civile doivent agir ensemble pour reconstruire un cadre protecteur. Prévenir la délinquance, c’est offrir une chance à une génération qui, faute d’écoute, se tourne vers la rue. Restaurer l’espoir, c’est la meilleure manière d’éteindre la violence.
Les quartiers populaires, aujourd’hui à bout de souffle, ne demandent pas seulement plus de police, mais plus de justice sociale. La délinquance des jeunes n’est pas une fatalité. Elle est le signe d’un déséquilibre profond entre la société et sa jeunesse. Tant que ce fossé ne sera pas comblé par l’éducation, l’emploi et la confiance, la violence continuera de hanter les rues et d’empoisonner le quotidien.
Leila SELMI
