Par Slim BEN YOUSSEF
Gabès s’étouffe entre ciel et mer. Dans l’air, des traces d’acide ; dans l’eau, des reflets d’indifférence. À l’usine chimique, les fuites se multiplient, la maintenance se dissout dans l’habitude, les rapports dorment dans les tiroirs. Chenini, Ouedhref, Sidi Boulbaba, El Djara, El Kazma… Les oasis, les mausolées, les souks et les plages s’usent à force d’attente, tandis que tout autour crie l’urgence : agir, réparer, purifier, prévenir.
Les résidus ne surprennent plus, les défaillances, elles, accablent. De Gafsa jusqu’au golfe, c’est tout un écosystème industriel – une chaîne vitale – qui grince au risque d’asphyxier ce qui reste d’un rivage déjà empoissonné. La société civile locale et la presse nationale veillent, documentent, alertent. Mais l’alerte a fait son temps. Et Le Temps a épuisé son encre. L’heure est aux actes.
Deux ministères, deux clés du même verrou : l’Industrie et l’Environnement. Ensemble, ils doivent ramener la décision dans le réel, mettre la main à l’ouvrage sans délai ni détour. La responsabilité se partage ou se renie. C’est à ce prix que la confiance retrouvera sa source.
Il existe un héritage, une lumière dans la mémoire du Sud : le militantisme sans cesse réinventé depuis des décennies par les jeunes de Gabès. Il dit déjà tout — la joie de vivre, la ferveur, le rêve d’une ville respirable. L’État doit s’en inspirer pour transformer cet élan en politique publique durable, à la hauteur d’une région trop longtemps livrée aux compromis capitalistes et à la résignation morale.
Ce que nous ferons pour Gabès dira ce que nous voulons devenir : un pays décidé à renouer avec sa vocation sociale, et qui doit faire de l’écologie un pacte vivant, non un supplément d’intention. Une Tunisie verte – épurée des fumées, des manquements et des renoncements – s’esquisse déjà dans l’inconscient collectif. Une nation délivrée des pollutions visibles et invisibles.
Le droit à un environnement sain – un principe constitutionnel – fonde tous les autres : santé, éducation, travail décent, dignité. Le développement se mesure moins au tonnage produit qu’à l’air qu’on respire.
Qu’est-ce que le progrès ? Un idéal de bien-être social dans la poussière industrielle.
Un triptyque de sens : le judicieux, le beau, l’équitable.
La fin ultime ? Le souverain bien.
