Le gouvernement planche sur une stratégie de valorisation de la filière huile d’olive, qui prévoit notamment l’augmentation des capacités de conditionnement, la création de marques nationales fortes bénéficiant de certifications par des organismes internationaux et la prospection de nouveaux marchés à fort potentiel à l’export, apprend-on de sources proches du ministère de l’Agriculture, des ressources hydrauliques et de la pêche.
La préparation de cette stratégie fait suite à l’audience accordée par le Président de la République, Kaïs Saïed, le 6 octobre, au Palais de Carthage, au ministre de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la pêche, Ezzeddine Ben Cheikh. Le Chef de l’Etat avait donné, à cette occasion, ses instructions pour ne pas se limiter aux marchés traditionnels, notant que de nombreux pays en Asie et en Amérique du Sud ont exprimé leur volonté d’importer l’huile d’olive tunisienne.
Il a également souligné l’importance de trouver des mécanismes de financement pour le conditionnement de ce produit national, estimant que les richesses du pays doivent porter son nom, ce qui aura des retombées positives sur de nombreux autres secteurs et contribuera à la diversification des partenariats stratégiques de la Tunisie.
Le Président a aussi mis l’accent sur la nécessité d’un meilleur accompagnement des petits agriculteurs, non seulement au niveau de la récolte, du pressage et de la commercialisation, mais aussi dans tous les domaines.
Le premier volet de la stratégie de la valorisation de l’huile d’olive à laquelle contribueront plusieurs ministères, dont ceux de l’Industrie et du Commerce et du Développement des exportations, prévoit notamment l’augmentation des capacités de stockage de l’Office National de l’Huile (ONH) ainsi que l’octroi d’incitations financières et fiscales aux investisseurs publics et privés pour renforcer les capacités de conditionnement et d’embouteillage.
La Tunisie ne compte actuellement que 35 unités de transformation et de conditionnement, dont les capacités ne dépassent pas 40 000 tonnes. Et ce sont d’ailleurs ces faibles capacités de conditionnement qui expliquent le fait que 37,1 mille tonnes d’huile d’olive seulement aient été exportées sous forme conditionnée durant les dix premiers mois de la saison oléicole 2024/2025 (novembre-août) sur un total de 252,7 mille tonnes expédiées vers les marchés étrangers, soit un pourcentage de 14,7%, d’après les données de l’Observatoire national de l’agriculture (Onagri). Or, l’exportation de la majeure partie de la production oléicole en vrac constitue un grand bradage d’une précieuse ressource nationale. Et pour cause : l’or vert est souvent vendu en vrac à bas prix à des pays concurrents comme l’Italie et l’Espagne, où des industriels reconditionnent l’huile d’olive tunisienne sous leurs propres marques, avant de la revendre à des prix très élevés. Très appréciée pour ses qualités organoleptiques, l’huile d’olive tunisienne est aussi mélangée à des huiles espagnoles ou italiennes pour en rehausser le goût et en améliorer la qualité.
Un manque à gagner de plusieurs milliards de dinars
Au bout du compte, la Tunisie perd sur plusieurs fronts. Ces pertes touchent aussi bien les oléiculteurs, qui se trouvent obligés de brader leur production, que le budget de l’Etat qui est de facto privé de plusieurs milliards de dinars, en ces temps de fortes pressions sur les finances publiques. En effet, le litre d’huile tunisienne exporté en vrac est vendu entre 8 et 10 dinars en fonction de ses catégories (lampante, extra-vierge, huile de grignons, etc.). Le prix du même litre conditionné et étiqueté à l’étranger peut atteindre jusqu’à 30 dinars sur les marchés européens ou nord-américains.
Conformément aux instructions présidentielles, la stratégie en cours de préparation prévoit d’autre part l’encouragement de la création de marques d’huile d’olive conditionnée répondant aux critères d’appellation d’origine contrôlée, grâce au recours aux certifications par des organismes internationaux reconnus qui garantissent les qualités de produits, leurs caractéristiques, leurs terroirs et le savoir-faire des producteurs. Dans ce cadre, des aides à la certification seront accordées aux unités de conditionnement alors que des programmes de formation sur les exigences du marché mondial, notamment en matière de qualité, de normes sanitaires et de packaging, cibleront les oléiculteurs et les huileries.
Et last but not least, l’intérêt se porte sur la diversification des marchés à l’export en s’appuyant sur la « diplomatie économique » et la promotion des marques tunisiennes d’huile d’olive lors des foires internationales pour conquérir de nouveaux marchés, notamment en Asie, en Amérique latine, en Afrique subsaharienne dans les pays scandinaves, où l’huile d’olive tunisienne reste largement méconnue.
La filière huile d’olive pourrait ainsi devenir un véritable pilier de l’économie tunisienne et un puissant levier de promotion de l’image du pays à l’international, surtout au regard de la tendance haussière de la production nationale. La Tunisie accèdera, en effet, cette année au rang de deuxième producteur derrière l’Espagne, grâce à une production record estimée à 500 000 tonnes durant la campagne 2025/2026, contre 340 000 tonnes durant la campagne précédente.
En plus les précieuses recettes en devises qu’elle rapporte (5 milliards de dinars durant la campagne 2023/2024), le secteur fait travailler des centaines de milliers de personnes, et impulse une grande dynamique économique locale à travers près de 2000 huileries, 10 unités d’extraction d’huile de grignons, 13 unités de raffinage d’huile, 35 unités de transformation et une centaine de sociétés spécialisées dans la commercialisation et l’export.
Walid KHEFIFI
