Une séance de travail, présidée par le ministre de l’Environnement, Habib Abid, a été récemment consacrée à la présentation de la vision de l’Etat en matière de gestion et de valorisation des déchets dans les gouvernorats du Grand Tunis, en de la proposition de lancement d’un appel à candidatures destiné à ceux qui souhaitent investir dans ce domaine.
C’est que la gestion des déchets constitue un défi majeur qui, jusque-là, est caractérisé par le recours à l’enfouissement plutôt qu’au recyclage et ce, essentiellement pour une question de financement Celui-ci étant tributaire entre autres la taxe d’habitation qui est parmi les causes de la mauvaise gestion financière d’une part et de certaines malversations de l’autre.
C’est d’ailleurs le problème qui se pose à l’Agence nationale de gestion (ANG) qui a été pourtant créée afin d’élaborer la stratégie nationale de la gestion des déchets. Toutefois elle trouve des difficultés qu’il est nécessaire de gérer. Cela a amené à une dégradation de plus en plus notoire de l’espace urbain. Que ce soit dans la capitale, ou les villes de banlieue au sud comme au nord, les déchets jonchent les rues et les détritus s’accumulent dans les espaces publics ainsi que dans les parcs ou les jardins publics. Il a fallu une intervention directe du Président de la République Kaïs Saïed pour provoquer une réaction immédiate. Lors de sa visite sur des sites symboliques, comme la place Barcelone ou le parc Mongi Bali, longtemps laissés à l’abandon, les autorités locales se sont précipitées pour nettoyer, réhabiliter et remettre en fonction les infrastructures publiques. La place Barcelone a aujourd’hui repris ses couleurs et ses jets d’eau qui ont été longtemps arrêtés, à cause des tas d’ordures qui étaient jetées dans les bassins.
Création d’unités de valorisation des déchets et cahiers des charges
Le côté financier a été invoqué pour expliquer l’inaction. Toutefois, le Président Kaïs Saïed a dénoncé une autre réalité : à savoir les réseaux de corruption au sein de certaines municipalités qui sabotent les efforts de propreté urbaine. Lors de de son déplacement en juin dernier dans les entrepôts de Tunis, il a alerté qu’il y a des quartiers dans la capitale, où les ordures n’ont pas été levées durant plusieurs jours, en soulignant qu’il y a des personnes qui sont exemptées du paiement des taxes municipales. Face à cette situation, le ministère de l’Environnement a élaboré un cahier des charges pour la création de quatre unités de valorisation des déchets dans les gouvernorats de Tunis, l’Ariana, Ben Arous et La Manouba. Un projet gouvernemental qui s’inscrit dans une approche sociale, économique, verte et circulaire, tenant compte des aspects environnementaux et veillant à éviter tout impact négatif sur le milieu, conformément aux orientations nationales en matière de développement durable. Les modalités de création de ces unités ont été discutées au cours d’une récente réunion, marquant une première étape vers une gestion moderne, intégrée et durable des déchets dans le Grand Tunis.
Les « Barbéchas » ces piliers méconnus de la gestion des déchets
Cette réforme ne pourra réussir selon plusieurs experts en la matière que si l’Etat renforce ses mécanismes de contrôle. En l’occurrence il est nécessaire de mieux lutter contre la corruption dans tous ses aspects, mais aussi tenir compte du droit acquis des parties prenantes dont les « Barbéchas». Ce sont les ramasseurs qui sont en général issus des populations marginalisées qui n’ont pas d’emploi stable. Ils ramassent dans les tas d’ordures, des plastiques et autres matériaux recyclables. Ils ont été intégrés par des entreprises d’exploitation des matériaux recyclables. Mais ils sont plutôt exploités car très mal payés. Ils n’ont aucune couverture sociale, outre le fait qu’ils sont mal rémunérés. En fait, ils se sont tournés vers cette activité pour en faire leur gagne -pain. Cependant, c’est une activité qui se déroule dans des conditions très précaires, entre autres par des personnes âgées, livrées à, elles-mêmes et sans aucune protection. Donc, la réforme doit reconnaître leur rôle, les intégrer officiellement, et leur garantir des droits sociaux, afin de mettre fin à cette situation de précarité et de marginalisation.
Plus de moyens financiers et logistiques aux municipalités
Par ailleurs, aucune réforme ne peut réussir si les municipalités restent démunies. Il est donc indispensable de renforcer leur budget et leurs équipements, tout en modernisant la logistique à savoir, camions, centre de tri et système de suivi, tout en mettant en place des outils de contrôle contre les malversations et le favoritisme. En outre, il est également souhaitable de sensibiliser la population à la citoyenneté environnementale. Ainsi, la réforme du système de gestion des déchets constitue une occasion historique pour rompre avec des décennies de négligence, de corruption et d’iniquité sociale. Mais pour qu’elle ne demeure pas un simple texte sur le papier, l’État doit agir avec fermeté et cohérence et ce, en contrôlant, en sanctionnant les abus, et en donnant aux municipalités les moyens d’agir.
Au-delà d’un enjeu technique, c’est une question de santé publique, de dignité sociale et de crédibilité de l’action publique. Réussir cette réforme, c’est prouver que la justice sociale et le développement durable peuvent aller de pair. L’heure n’est plus aux constats, mais à la volonté politique. La Tunisie dispose des compétences, des ressources et du cadre légal. Il ne manque plus qu’un engagement ferme pour transformer cette réforme en un véritable modèle national de gouvernance environnementale.
Ahmed NEMLAGHI
Légende : 2700 tonnes par jour à travers le Grand Tunis
