Le gouvernement a fait le choix de fiscaliser le financement des régimes de sécurité sociale, en attendant des réformes structurelles plus durables et à fort impact. L’article 21 du projet de loi de finances 2026, qui vient d’être transmis par le gouvernement au Parlement, prévoit l’instauration de nouvelles taxes parafiscales pour diversifier et renforcer les ressources des caisses sociales. Ces taxes consistent notamment en une redevance de 1,5 dinar sera appliquée sur chaque facture d’achat égale ou supérieure à 50 dinars dans les grandes surfaces, et 2 dinars pour les factures atteignant ou dépassant 100 dinars. Une taxe de 100 millimes sera également instaurée sur chaque recharge téléphonique d’un montant égal ou supérieur à 5 dinars.
En outre, une taxe de 40 % sera prélevée sur le prix de participation aux jeux et concours en utilisant les technologies de l’information et de la communication ainsi que des prélèvements de 50 % du droit sur les tickets de vente délivrés aux clients, 50 % du droit de timbre fiscal appliqué aux cahiers des charges, 20 % du droit sur les voyages aériens et maritimes internationaux, 20 % du droit de séjour dans les établissements touristiques, et 20 % de la redevance de soutien imposée aux boîtes de nuit, clubs et cabarets non affiliés à une entreprise touristique.
Le projet de loi de finances introduit également une nouvelle contribution de 4 % sur les bénéfices des banques, institutions financières, concessionnaires automobiles, compagnies d’assurance et de réassurance et opérateurs télécoms, calculée sur la base des bénéfices soumis à l’impôt sur les sociétés à partir de 2026. Cette contribution, dont le montant minimal est fixé à 10 000 dinars, ne sera pas déductible de l’assiette de l’impôt.
Par ailleurs, une retenue de 2 dinars sera perçue sur le prix journalier de location de chaque véhicule, et versée mensuellement par les sociétés spécialisées dans la location de véhicules.
Enfin, 50 % du droit d’enregistrement immobilier sur les dons de biens entre ascendants et descendants ou entre époux seront reversés aux caisses sociales. Ce droit sera doublé, passant de 100 à 200 dinars.
Le recours à ces taxes parafiscales pour diversifier les sources de financement des régimes de sécurité sociale s’inspire notamment de l’expérience française, où plus de 50 taxes sont reversées aux caisses sociales.
Un déficit cumulé attendu à 2,5 milliards de dinars en 2025
Une fois la loi de finances adoptée par l’Assemblée des représentants du peuple, ces mesures devraient contribuer à améliorer les équilibres financiers de la Caisse Nationale de Retraite et de Prévoyance Sociale (CNRPS) et de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNRPS).
Le déficit cumulé de ces deux principales caisses de sécurité sociale en Tunisie devrait culminer à montant record de plus de 2,5 milliards de dinars d’ici fin 2025, selon des sources proches du ministère des Affaires sociales. Les dernières données disponibles montrent que le déficit de la CNSS a atteint 1,2 milliard de dinars en 2024, contre 950 millions de dinars en 2023. Ce déficit devrait dépasser 1,4 milliard de dollars d’ici la fin de l’année en cours, en raison notamment des augmentations de 7% des pensions accordés en mai dernier aux retraités.
La CNRPS a vu son déficit atteindre 708 millions de dinars en 2024, contre 600 millions de dinars en 2023. Selon les projections, ce déficit devrait connaître une forte hausse en 2025 pour s’établir à plus de 1,1 milliard de dinars. La situation financière peu enviable de ces deux caisses se répercute négativement sur la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM), qui réalise des excédents mais dont les ressources sont siphonnées pour assurer la continuité du versement des pensions de retraite.
Les mauvais indicateurs financiers des régimes de sécurité sociale sont d’ordre structurel, puisqu’ils sont corrélés à des mutations démographiques et socio-économiques, comme le vieillissement croissant de la population (le taux des personnes âgées de 60 ans et plus est passé de 5,58 % en 1966 à 17 % en 2024), la hausse de l’espérance de vie (75 ans), la propagation des emplois précaires (non déclarés) et le poids grandissant de l’économie informelle.
Au regard de ces divers facteurs, le ratio moyen actifs/retraités pour les deux caisses sociales (nombre de salariés actifs qui paient grâce à leurs cotisations les pensions des retraités, NDLR) a ainsi baissé à une vitesse vertigineuse au cours des trois dernières décennies. La moyenne actuelle pour les deux caisses (CNSS et CNRPS) est de moins de trois actifs pour un retraité (1,391 million personnes bénéficient d’une pension de retraite contre 3,409 millions personnes actives).
Des réformes plus profondes s’imposent
Les autorités pont jusqu’ici procédé à des ajustements paramétriques des régimes de sécurité sociale comme le relèvement de l’âge du départ à la retraite dans le secteur public à 62 ans et à la révision à la hausse des cotisations, et à l’instauration d’une contribution sociale de solidarité (CSS). Des réformes structurelles plus profondes restent cependant une nécessité pour garantir la viabilité financière à long terme du système national de protection sociale, face aux défis démographiques.
Il s’agit notamment de l’adoption du système de retraite par capitalisation, en complément de l’actuel système de retraite par répartition. Contrairement au système de retraite par répartition, qui repose sur un principe de solidarité intergénérationnelle (les cotisations versées par les actifs d’aujourd’hui servent à payer les pensions des retraités), le système de retraite par capitalisation permet aux actifs d’épargner en vue de leur propre retraite. Cette épargne fera l’objet de placements par des fonds de pension ou de compagnies d’assurance-vie, dont le rendement dépendra essentiellement de l’évolution des marchés financiers et des taux d’intérêt. Les sommes accumulées seront reversées à l’assuré après son départ à la retraite sous forme de capital, de rente viagère ou les deux.
Les autres réformes structurelles proposées par les experts sont notamment la rationalisation des formules de prestations, l’alignement des régimes spéciaux sur le régime général, la prise en compte des salaires réels sur l’ensemble de la carrière (plutôt que les dernières années de salaire) et l’amélioration de la gouvernance des réserves des caisses.
L’intérêt devrait aussi se porter sur la stimulation de la croissance économique pour favoriser l’arrivée sur le marché du travail de centaines de milliers de jeunes dont les cotisations serviront à financer les pensions des personnes âgées, ainsi que sur l’élargissement de l’assiette des cotisations à travers l’intégration des travailleurs du secteur informel dans l’économie réelle, la prise en considération des emplois émergents ou atypiques comme le travail indépendant (freelance) et les contrats de prestation de services et la lutte contre la sous-déclaration des travailleurs et le travail au noir.
Walid KHEFIFI
