Par Slim BEN YOUSSEF
Il faut désormais penser ceci : ce qui s’élève du Sud n’est plus un cri isolé, mais une cause que tout un pays reprend. Ce qui semble n’être qu’un épisode local à Gabès se transforme en respiration nationale. Citoyens, chercheurs, artistes, enseignants, journalistes, activistes — une jeunesse entière — rappellent que l’écologie ne relève ni de la mode ni du baratin, mais de la conscience. Ils manifestent avec patience, créent avec ferveur, dénoncent avec dignité. Dans l’asphyxie, ils inventent une manière tunisienne de préserver la vie, et peut-être même, à travers elle, de réinventer la République.
Gabès s’étouffe. Nous ne nous lasserons pas de le rappeler. Les oasis s’éteignent, les plages se fanent, les mausolées blanchissent au soleil du désarroi. Et pourtant, sous cette chape, quelque chose respire : une conscience lente, têtue, obstinée — celle d’un peuple qui n’a pas renoncé à la beauté de son rivage. Partout dans le pays, un éveil s’amorce. Je corrige : un éveil se propage.
Mohamed Daghbaji, s’il était encore des nôtres, marcherait parmi eux ? Sa ferveur irrigue toujours les racines du Sud. Dans les rues, sur les murs, dans les laboratoires, les jeunes de Gabès prolongent sa flamme. Ils transforment la mémoire en action, l’asphyxie en persévérance. À Gabès, la résistance agit. Elle avance à pas civiques, têtue, lumineuse, obstinée, comme un souvenir qui aurait décidé de rester jeune.
Les résidus ne surprennent plus, les défaillances accablent. L’État ne peut plus tolérer que la chimie serve de paravent à l’oubli. Il doit punir les fauteurs, restaurer la confiance et inscrire l’écologie au rang des politiques publiques stratégiques. Le Groupe chimique de Gabès appartient à la nation : à sa mémoire, à son effort, à ses mains. Ce site ne produit pas seulement du phosphate ; il fabrique du destin collectif. Les tentatives de cession ont été refoulées par l’Histoire ; qu’aucune époque ne tente à nouveau de vendre ce qui incarne la promesse sociale du pays.
De Gafsa jusqu’au golfe, tout un écosystème industriel gémit, grince, implore un sursaut. La Tunisie sociale renaîtra dans la clarté, lavée de ses fumées, de ses retards, de ses renoncements. Chaque geste écologique est un acte patriotique, chaque palmier replanté, une prière civique.
Ce que nous ferons pour Gabès – on ne se lassera pas de le répéter – dira ce que nous voulons devenir : un pays respirant au même rythme que son peuple, fidèle à la justice écologique comme à la justice tout court. Une Tunisie réconciliée avec son souffle et sa jeunesse, consciente enfin que l’environnement est la forme la plus pure de la souveraineté.
