Par Slim BEN YOUSSEF
La pluie a repris langue avec la terre. Dans les oasis, les oliveraies, les plaines de blé, une sève se lève : celle d’un pays qui redécouvre sa fécondité, sa confiance retrouvée dans le possible. Après des années de sécheresse, la Tunisie vise plus qu’une abondance : une relance. Un tournant, ou peut-être une chance de se refaire un destin agricole. Encore faut-il savoir accueillir cette prospérité, la transformer en bien commun. Que vaut-elle si elle ne profite pas à tous ? Si nos structures publiques (Office de l’huile, Office des céréales…) restent figées, si nos produits partent à l’export sans visage tunisien, si nos citoyens ne peuvent plus s’offrir leur propre huile ?
Les dattes sont généreuses, les épis pleins, l’huile d’olive s’annonce record. La nature a fait son œuvre. À nous d’en être dignes.
Le nœud du problème ? Le pays récolte, mais peine à stocker : l’Office national de l’huile n’a pas grandi avec la cueillette ; les silos des céréales débordent de lenteur autant que de grain. Dans les campagnes, les petits agriculteurs guettent des crédits à la mesure de leur courage, des décisions à la hauteur de leur patience. Sur nos marchés, les prix flambent. L’huile d’olive devient un luxe, la table un champ de bataille sans bruit. Quand la richesse ne nourrit plus, elle devient une autre forme de pauvreté.
Qu’est-ce que la souveraineté alimentaire ? Une richesse qui circule du champ à la table.
Que veut dire liberté nourricière ? Le droit de se nourrir de ce que l’on produit.
Autodétermination agricole ? Les silos, coffres-forts de la nation.
C’est là que se joue l’idéal du bien-être social – de la dignité nationale.
De nos champs aux marchés du monde, il reste à donner un visage à nos richesses. La souveraineté se joue aussi dans l’étiquette.
Notre pays vend son huile comme on livre un secret : sans nom, sans visage, sans drapeau. Or l’huile d’olive tunisienne est plus qu’un produit « exportable », c’est un héritage liquide ; la mémoire d’un soleil pressé. Elle devrait porter le sceau de sa terre, son identité, sa noblesse. L’exporter, oui, mais avec son âme. Qu’elle voyage, mais qu’on sache d’où vient sa lumière. Les marchés d’Amérique latine et d’Asie – du Sud global – nous appellent : répondons par la qualité, car notre huile d’olive n’a pas été faite pour graisser les bilans du Nord.
Voltaire conseillait de cultiver notre jardin. Pour s’émanciper du monde ? Pour mieux l’habiter. Le nôtre existe, fertile, tenace. Les dattes, le blé, l’huile : notre triptyque de souveraineté.