Par Slim BEN YOUSSEF
Une nation se jauge dans sa salle d’urgence. On y lit la vérité nue : la dette de l’État envers les siens, le degré de sa sollicitude, la valeur de ses actes. Dans une civière qui tarde, dans un regard inquiet, dans un geste débordé de soignant, se raconte l’ambition collective – ou son absence. La République sociale ne s’éprouve nulle part avec autant de clarté que sous la lumière crue de l’hôpital.
Aujourd’hui, la Tunisie esquisse un saut. L’hôpital numérique ouvre une brèche vers une santé moderne, structurée, équitable. Une image neuve, un langage simple : soigner par la technologie, rapprocher le médecin et le patient par l’écran, abolir les kilomètres et les jours perdus. Les examens pourraient voyager sans fatigue, les diagnostics sans exil forcé vers la capitale. L’hôpital numérique : première brique d’une santé du XXIᵉ siècle.
Cet effort ne flotte pas dans les nuées. Kairouan, Sbeitla, El Jem, Ghardimaou, Makthar, Haffouz, Dahmani, Tala : villes patientes, espérantes, longtemps reléguées au bout de la carte et du regard. Leur chantier sanitaire vaut manifeste national. Reconstruire la santé publique exige des budgets fermes, des procédures souples, un État qui avance sans les pesanteurs de sa propre mémoire administrative. Le progrès a besoin de béton, de fibre optique, de volonté. Une salle blanche, un moniteur, un décret. Rien n’est abstrait.
Dans cette ambition, les soignants attendent un cadre à la hauteur de leur vocation : tel devrait être le socle. Le système actuel use, jusqu’à décourager les meilleurs. Lassés mais fidèles, ils soignent nos malades et, trop souvent, nos départs. L’excellence tunisienne, qui éclaire le monde, ne devrait pas se vivre en exil. Nous formons des praticiens comme on taille une pierre rare : avec rigueur, patience, orgueil – puis nous les voyons franchir nos portes. Une nation ne devrait pas saluer ses talents en les perdant – applaudir ceux qu’elle ne sait retenir.
Pourtant, notre pays sait ouvrir le possible. Il a l’habitude d’avancer à contre-courant, d’inventer avec peu, de rester debout dans le vent. La santé demeure l’épreuve décisive de l’État social tunisien. La hisser à hauteur de notre peuple est un devoir national. Moderniser, financer, construire, équiper, protéger, soutenir — et croire en nous.
La dignité d’une nation se tient au chevet des vivants. Il n’y a de justice que soignée.
