Par Dr Yasser Abdul Hussein et Dr Fatima Jamali
Ce qui unit l’Irak et la Tunisie ne se résume pas à une relation civilisationnelle, historique et culturelle profonde, remontant à l’époque des échanges culturels islamiques et arabes entre Bagdad et Kairouan. Cette relation est profondément ancrée malgré la distance géographique. En 1925, Bagdad abritait le leader tunisien et fondateur du Parti Constitutionnel Libre, Cheikh Abdul Aziz al-Tha’alibi, venu fuir les persécutions françaises et invité à enseigner la philosophie islamique à l’Université Al al-Bayt, fondée par le roi Fayçal 1er.
Entre-temps, le plus grand poète arabe, Muhammad Mahdi al-Jawahiri, composa son célèbre poème «Amoureux du peuple tunisien», à propos du peuple de Carthage : «Il a arrosé la Tunisie de ce qui repousse les calamités ; sa verdure suffit à repousser la sécheresse. Et il a ravivé les dômes blancs avec un esprit à l’image de son peuple, délicat dans ses contours, essuyant l’eau et l’herbe.»
Cependant, la question de l’indépendance tunisienne est l’une des étapes les plus importantes qui ont rapproché les deux peuples grâce à un soutien apporté sous diverses formes, notamment au cours du long processus diplomatique. La célébration par le peuple tunisien de la Journée de l’Évacuation, le 15 octobre de chaque année (que nous avons célébrée il y a quelques jours), offre peut-être l’occasion de revenir sur cette honorable histoire. La Journée de l’Évacuation commémore le départ du dernier soldat français du territoire tunisien en 1963, plus précisément de la base de Bizerte, dernier bastion de la présence française après l’indépendance en 1956. La pression de la résistance tunisienne, conjuguée aux efforts diplomatiques et aux négociations ardues des militants indépendantistes tunisiens, a poussé la France à se retirer complètement de la Tunisie, après des années de bravoure et de résistance courageuse face au colonialisme.
Notre grand professeur et éminent diplomate irakien, le Dr Muhammad Fadhel Jamali, a joué un rôle majeur dans la défense de l’indépendance de la Tunisie, selon une histoire populaire racontant sa position aux Nations unies. Cependant, ce récit est incomplet. «Fils de l’Irak», son nom secret dans les publications où il s’exprimait librement, a su donner l’exemple et laisser derrière lui un héritage diplomatique irakien important dont nous pouvons tous être fiers, Irakiens, Tunisiens et Arabes. Pour comprendre l’histoire dans toute sa dimension, revenons à ce que le Dr Jamali a écrit dans ses mémoires lorsqu’il a interrogé le président tunisien Habib Bourguiba : «Comment un petit pays comme la Tunisie peut-il adopter une politique de confrontation avec la France, une grande puissance ?» Il répondit : «En procédant par étapes, c’est-à-dire en prenant et en exigeant.» Jamali lui dit : «Je suis heureux de vous entendre parler de cela.» Telle est la politique adoptée par le roi Fayçal 1er avec les Britanniques, politique qui a finalement conduit à l’indépendance de l’Irak. Dans cet article, nous présentons donc le rôle diplomatique joué par le Dr Jamali dans la question de l’indépendance tunisienne, dans un contexte historique séquentiel. Nous conserverons les détails, les documents complets et les sources qui seront publiés ultérieurement dans une biographie conjointe.
Après la déportation de Bourguiba en Égypte, la légation irakienne au Caire, dirigée par le ministre plénipotentiaire Tahsin al-Askari, a fourni toutes les facilités nécessaires au dirigeant tunisien tout au long de son séjour.
En juin 1946, Bourguiba fut rejoint au Caire par d’autres militants installés à Berlin après mai 1943 : Habib Thamer, Tayeb Slim et Rachid Idriss. Après avoir fui Berlin en mars 1945 et essuyé des persécutions constantes de la police française, ils ont atterri d’abord à Madrid puis, après avoir été secourus par l’ambassade d’Irak, ont pu trouver refuge en Égypte.
Le 20 janvier 1949, Youssef Rouissi et Habib Thamer, chef du Parti constitutionnel, se rendirent en Irak après avoir rencontré Jamali. Ils exhortèrent le gouvernement irakien à soutenir l’indépendance, alors que les négociations d’indépendance entre la Tunisie et la France étaient dans l’impasse.
La Tunisie demanda à présenter son cas aux Nations unies lors d’une réunion à Paris en 1951. Jamali exprima la volonté de l’Irak de participer à cette mission et souligna que l’Irak serait le premier pays arabe à comparaître devant le Conseil de sécurité et saisirait la première occasion internationale pour mettre en avant la cause tunisienne.
Saleh Ben Youssef et Muhammad Badra intégrés à la délégation irakienne en qualité de membres consultatifs
En 1951, Jamali accompagna les membres de la délégation tunisienne, Saleh Ben Youssef et Mohamed Badra, pour rencontrer le président de l’Assemblée générale des Nations unies, Louis Padilla Nervo, et l’exhorta à aborder la question auprès du ministre français des Affaires étrangères afin de modifier la politique française à l’égard de la Tunisie.
En octobre 1952, Jamali tint un long entretien avec le secrétaire d’État américain de l’époque, Dean Acheson. Parmi les sujets abordés lors de cette réunion figurait la libération de l’Afrique du Nord, en particulier de la Tunisie.

La Tunisie a demandé à l’Irak d’intervenir auprès des États-Unis pour obtenir un visa d’entrée à Saleh Ben Youssef. Le Dr Jamali s’est chargé de cette tâche, et Ben Youssef a assisté à la réunion de l’Assemblée, aux côtés de Muhammad Badra et d’Al-Bahi Al-Adgham, en 1952.
En juillet 1954, Jamali s’est rendu à Washington et la question tunisienne a été l’un des sujets abordés avec John Foster Dulles, secrétaire d’État, dans le cadre de la diplomatie irakienne visant à défendre l’indépendance.
Lors de cette même visite, Jamali a rencontré le président américain Eisenhower, au cours de laquelle la question tunisienne a été l’un des points abordés. Il a longuement insisté sur l’importance de faire pression sur la partie française.
Le 25 mars 1952, le gouvernement irakien contacta les ambassadeurs américain et britannique à Bagdad pour les exhorter à soutenir la Tunisie dans l’obtention de son droit à l’indépendance.
Le Dr Jamali escorta le dirigeant tunisien Saleh Ben Youssef dans la salle de l’Assemblée générale et le fit asseoir parmi les membres de la délégation irakienne. Le délégué français s’opposa à la présence de quelqu’un qui n’était pas autorisé à siéger dans la salle.
Jamali intégra alors Saleh Ben Youssef et Muhammad Badra à la délégation irakienne en qualité de membres consultatifs et envoya un mémorandum au Secrétariat général de l’Assemblée générale à ce sujet. Certaines sources historiques rapportent que le gouvernement irakien avait accordé des passeports irakiens à des dirigeants tunisiens, leur permettant d’accompagner la délégation irakienne aux réunions de l’Assemblée générale des Nations unies.
Le gouvernement français protesta à plusieurs reprises contre le gouvernement irakien, et le président français convoqua l’ambassadeur d’Irak à Paris pour exprimer sa colère. Le Dr Jamali rejeta ces pressions, les considérant comme une ingérence dans les affaires de l’Irak et une atteinte à sa souveraineté.
Un télégramme du ministère français des Affaires étrangères exposa son refus d’autoriser Saleh Ben Youssef à siéger au sein de la délégation irakienne. Le Dr Jamali répondit que l’intérêt national l’exigeait et que l’appartenance à la délégation d’un pays relevait de la compétence de ce pays et de sa souveraineté.
Robert Schuman, représentant français aux Nations unies, prononça un discours le 25 novembre 1952, qualifiant l’inscription de la question tunisienne à l’ordre du jour de l’ONU d’injustice envers la France et ne relevant pas de la compétence du Comité politique. Le représentant français exigea également que les différends entre la Tunisie et la France soient résolus en dehors de l’ONU. Dr Jamali confronta le représentant français et accusa son pays de pratiquer une tyrannie absolue sans aucun égard pour les aspirations nationales de la Tunisie. En réponse aux accusations du représentant français, il a déclaré que le peuple tunisien n’était pas terroriste, mais plutôt l’un des peuples les plus pacifiques et les plus disciplinés du monde. C’est la France qui a soumis ce peuple à des mesures arbitraires et répressives qui l’ont poussé à se révolter pour se défendre.
Après son retour de Paris en Irak, Jamali a été accueilli par le ministre des Affaires étrangères, qui l’a embrassé et lui a dit : «Vous avez rendu un mauvais service à l’Irak en insistant pour inclure Saleh Ben Youssef dans la délégation irakienne, malgré certaines réserves du gouvernement.»
«Tout l’Irak était ébranlé par la cause tunisienne»
Le comportement diplomatique distingué de l’Irak est devenu un modèle à suivre. La délégation pakistanaise, dirigée par Muhammad Zafarullah Khan, comprenait Ahmed Balfrij (Maroc). La délégation irakienne a ensuite également intégré Abbas Farhat et Hussein Aya Ahmed lors de la présentation de la question algérienne.
Une autre délégation tunisienne, composée de Mohamed Badra et d’Ali Al-Balhawan (secrétaire général adjoint du Parti constitutionnel tunisien), s’est rendue à Bagdad pour exhorter le gouvernement irakien à soutenir la réouverture des Nations unies sur la question tunisienne. Jamali a alors sollicité le soutien du bloc afro-asiatique des Nations unies pour une rencontre et un échange de vues sur l’évolution de la situation. Ali Al-Balhawan, qui s’est installé à Bagdad et y est devenu professeur de philosophie avec l’aide de Jamali, a déclaré : «La Tunisie n’oubliera jamais les gestes généreux de l’Irak, ni son ministre des Affaires étrangères, Son Excellence le Dr Fadhel Jamali, pour son soutien à sa cause. Ces gestes généreux et ce soutien mutuel ne cessent de se multiplier.» Dans une lettre envoyée par Ali Al-Balhawan de Bagdad en 1953 à son compagnon de lutte, Al-Bahi Al-Adgham, il déclarait : «Tout l’Irak était ébranlé par la cause tunisienne. Nous avons contacté le gouvernement et tous les partis et organisations politiques. Il ne se passait pas longtemps sans que la presse ne soit submergée d’articles, de recherches et d’informations sur notre cause nationale.» Dans une autre lettre de la même année, il écrivait : «J’ai rencontré Son Excellence Fadhel Jamali, véritable défenseur du Maghreb, et il m’a assuré de son soutien à la lutte des moudjahidines en Tunisie et à Marrakech.»
Le Dr Jamali joua un rôle majeur lors de la conférence de Bandung en 1955, où, à la tête de la délégation irakienne, il prononça un discours dans lequel il exprima l’espoir que les négociations en cours entre la France et la Tunisie répondraient aux aspirations nationales de libération et d’indépendance des Tunisiens.
Lors de l’Assemblée générale des Nations unies de 1955, Pierre Mendès-France, alors Premier ministre français, y assista et prononça un discours dans lequel il évoqua l’octroi de l’autonomie à la Tunisie, promettant que la France œuvre à la libération des peuples et reconnaît leur droit à une vie libre. Après être descendu de l’estrade et s’être dirigé vers son siège, il se plaça près du Dr Jamali et lui demanda : «Avez-vous apprécié ce que j’ai dit sur la Tunisie ?» Jamali répondit : «Et le Maroc ?» Le Français lui dit d’attendre. L’année suivante, en 1956, le Maroc et la Tunisie accédèrent à l’indépendance.
Le grand diplomate Chadli Klibi déclara : «Fadel Jemali est l’un des géants de notre histoire arabe moderne et l’un des rares à avoir, de son vivant, accédé à la tribune de l’histoire avec mérite. Après leur disparition, le pouls de leur pensée est resté intact.» Cheikh Muhammad al-Mukhtar al-Salami, Mufti de la République tunisienne, décrivit l’humanité de Jamali en ces termes : «Vous avez surpassé tous les autres par votre humanité, devenant un frère de l’humanité et un défenseur des opprimés et des faibles, grâce à votre contribution à l’élaboration de la Charte des Nations unies. Avec une foi inébranlable, vous avez défendu le droit des peuples à l’autodétermination face au pouvoir de l’oppression, et vous avez réussi à l’inscrire parmi ses articles. Pour vous, chaque peuple possède une liberté digne d’être commémorée.» Félicitations à ce grand diplomate qui aimait son pays et sa cause. Peu importe à quel point les traditions, les ordres et les normes diplomatiques strictes peuvent restreindre son approche professionnelle, la norme d’appartenance et le credo du diplomate restent le véritable guide de son travail et de l’accomplissement de ses devoirs.
