Par Slim BEN YOUSSEF
Qu’on le comprenne bien : la bureaucratie doit servir la charrue, non la freiner. Chaque récolte se heurte à des formulaires, chaque tracteur à un guichet. L’agriculteur tunisien, celui qui nourrit la nation, ploie sous un fardeau que ni la sécheresse ni la fatigue n’expliquent : la bureaucratie. Lourdeur des procédures, circulaires obsolètes, taxes incohérentes. Transport, stockage, commercialisation : trois goulets d’étranglement.
Dans les plaines du Nord-Ouest comme dans les oasis du Sud, les produits s’accumulent sans débouchés. Les circuits se grippent, les entrepôts manquent, les formalités se multiplient. L’agriculteur s’égare parmi les circulaires et les taxes, labyrinthes où s’épuisent, et l’énergie et la patience. L’administration, au lieu d’accompagner, entrave. Ses formulaires sont devenus les mauvaises herbes de la République.
Ce qui manque, ce n’est ni la terre ni la foi au travail, mais une administration qui se souvienne du sens du service. Le papier a remplacé le geste. La lenteur s’est faite loi. Et l’agriculteur, citoyen de l’essentiel, devient l’otage d’un ordre sans raison.
Restaurer la confiance, c’est d’abord simplifier. L’État social se mesure à la dignité qu’il accorde à ceux qui travaillent la terre, à la liberté qu’il garantit à ceux qui nourrissent la nation. Il doit protéger le petit exploitant contre la spéculation, lui assurer l’accès au transport, au stockage, à la vente. Il faut que la bureaucratie s’incline devant le travail, comme la plume devant la terre.
La nature, cette année, a fait son œuvre. Les dattes sont généreuses, les épis pleins, l’huile d’olive s’annonce record. Reste à savoir si l’administration saura être digne de la saison. Une bonne récolte ne suffit pas : elle exige des routes, des entrepôts, une vision. Que veut dire vision ? Un pays qui nourrit ses enfants écrit sa propre liberté.
La Tunisie possède les semences de son avenir ; qu’on cesse de lui imposer la paperasse de son impuissance. Produire pour soi, voilà la première indépendance. Le pain, les dattes, l’huile d’olive : triptyque d’une souveraineté concrète. Leur vraie richesse naît lorsqu’ils voyagent de la sueur à l’assiette, du travail à la dignité. La prospérité véritable ? Du champ à la table, sans intermédiaires d’iniquité.
