De plus en plus envahissantes, les influenceuses, et à un degré moindre les influenceurs, sont pratiquement partout. Qu’elles soient vendeuses, mannequins et même journalistes, elles sont prêtes à tout pour occuper l’espace virtuel et les réseaux sociaux, aidées par un vide juridique concernant leur statut et leurs formes d’activité. Jusqu’où comptent aller ces accapareuses et quel modèle de média et d’éthique vont-elles nous imposer ?
Le nouveau phénomène des temps modernes qu’est le règne des influenceuses sur la vie et ses aspects de tous les jours n’est pas propre à la Tunisie. Partout, elles deviennent à la mode et elles attirent l’attention des férus des réseaux sociaux.
Chez nous, il s’agit d’un «nouveau job» qui rapporte beaucoup sans avoir besoin de diplôme ni d’expérience. Il suffit d’avoir un look plus ou moins attirant et surtout, une éloquence capable d’influencer les avis et les choix des auditeurs ou des internautes. Ces nouvelles occupantes de l’espace virtuel sont partout, de Facebook à Instagram en passant par Snapchat et désormais Tiktok, le préféré des tout jeunes, là où elles entretiennent de larges communautés de fidèles qui se comptent parfois en millions. Et c’est là, dans un tel milieu, qu’elles construisent leur image et jettent les bases de leur nouveau métier qui consiste à promouvoir des produits, des services et d’autres «missions».
A partir de là, c’est leur «compétence» qui fait le reste. Une belle histoire bien racontée, et le produit s’arrache partout en quelques jours, provoquant une rupture de stock. Un cas très émouvant soigneusement évoqué, et des centaines de milliers de Tunisiens qui compatissent. Entre les «J’aime», les commentaires et les partages, le taux d’engagement peut monter au zénith. Avec la taille de la communauté, ce taux d’engagement créera la notoriété et la fortune de ces influenceuses, ainsi que celles des marques partenaires.
Ce qu’on peut constater, sans risque de se tromper, c’est que le nombre de ces influenceurs et influenceuses est en train de croître de jour en jour. Selon les dernières estimations qui datent de quelques mois, leur nombre avoisine les 1500, identifiés sur différents réseaux. Quant à la taille du marché généré par des partenariats à moyen terme et des collaborations ponctuelles ou périodiques, il n’est pas aisé de la cerner. Des estimations indiquent qu’elle se situerait entre 5 et 6 millions de dinars par an alors que d’autres pensent que la valeur de ce marché est bien supérieure.
Elles sont partout
D’ailleurs, il suffit de jeter un coup d’œil sur la présence sur les plateaux des plus importantes radios et chaînes de télévision pour constater l’émergence de cette nouvelle race qui commence même à prendre la place des journalistes en matière d’information, voire d’analyses et de constats. Lors de grands rendez-vous, visites de terrain ou cérémonies, les organisateurs pensent beaucoup plus à la présence de ces influenceuses qu’à celle des journalistes !
Plus grave encore, une autre étude montre que les investissements publicitaires migrent rapidement. De moins en moins vers les médias traditionnels (presse écrite, radio, télé et affichage), de plus en plus vers le digital, avec une priorisation pour les influenceuses qui ne cessent de monter en puissance.
Plus grave encore, le paysage médiatique d’aujourd’hui ne concerne plus uniquement les journalistes puisqu’une nouvelle race de créateurs de contenu dans l’univers numérique vient d’éclore depuis quelques années et elle devient de plus en plus forte et influente dans notre pays où rien de légal ne peut empêcher leur envol. Et comme l’a rappelé l’un des participants à cet événement, «aujourd’hui, tout le monde peut publier, souvent de manière anarchique, sans garde-fous déontologiques avec une nouvelle catégorie d’influenceur(se)s qui se concentre davantage sur le marketing que sur l’expression citoyenne avec toutes les probables dérives qu’elle peut entraîner».
Et puisqu’on évoque les dérives, il y a lieu de rappeler que le parquet près le tribunal de première instance de Sousse 2 a ordonné, mardi dernier, la détention d’une jeune femme d’une vingtaine d’années, connue sur TikTok, pour plusieurs chefs d’accusation, notamment atteinte aux bonnes mœurs, outrage public à la pudeur et incitation à la débauche. Cette décision fait suite à la publication de vidéos et de photos au contenu jugé indécent et immoral sur la plateforme.
La jeune femme est également poursuivie pour fausse déclaration de crime, après la diffusion d’une information infondée affirmant qu’elle avait été tuée par des individus d’un pays voisin. Le parquet a ainsi émis un mandat de dépôt à son encontre.
Elles échappent encore au fisc
Comment, dès lors, encadrer ces nouvelles reines de la communication numérique et comment éviter les dérives qui découlent de leurs maladroites pratiques ? L’Etat, qui tente de contrôler le contenu proposé par ces influenceuses et d’engager des poursuites contre ceux et celles qui dépassent les bornes, se montre plus prudent lorsqu’il s’agit d’imposer des taxes à ces professionnel(le)s qui bénéficient de revenus imposants sans payer le moindre sou au fisc.
C’est qu’en Tunisie, les lois fiscales existantes ne sont pas adaptées aux nouvelles réalités du marché numérique. Les influenceurs, qui perçoivent des revenus considérables, échappent souvent à l’obligation de déclaration, profitant ainsi de lacunes juridiques. Ces derniers temps, quelques initiatives ont été entamées pour pallier cette défaillance qui prive l’Etat de revenus très importants en matière de fiscalité, mais elles n’ont pas encore défini un cadre précis pour soumettre cette nouvelle race de créateurs de contenu aux règles fiscales générales imposées aux autres citoyens.
Il s’agit d’un nouveau métier que l’Etat va devoir encadrer et maîtriser, ce qui n’est pas une mince affaire.
Kamel ZAIEM
