Par Slim BEN YOUSSEF
Voici l’idée première : la Tunisie a besoin d’un désir collectif de beauté, d’un projet de civilisation par la joie. Le bonheur, d’abord, est affaire de conviction, de mouvement et d’éducation du regard. Que s’éteigne l’époque des lamentations, et que vienne le temps du recommencement. Terre de lumière et de vent, ce pays doit retrouver le goût du jour, l’allégresse de créer, la confiance du geste, la certitude d’avancer. La joie, écrivait Spinoza, accroît notre puissance d’agir : une énergie d’existence qui transforme tout ce qu’elle touche.
Notre renaissance commence ici : dans cette force tranquille qui pousse un peuple à se mettre debout, à réinventer son destin. Ce qu’il nous faut, c’est une intuition lumineuse : un hédonisme national, un épicurisme civique, une philosophie tunisienne du bonheur actif. Une euphorie créative, une allégresse lucide — une démonstration collective et subversive de la joie, conquise par l’action et la foi dans le renouveau.
Qu’est-ce que le bonheur actif ? La plus belle incarnation de la souveraineté. Aristote parlait d’eudaimonia, ce bonheur profond né de l’accomplissement juste et de l’œuvre partagée. Cette sagesse ancienne cherche ici sa tunisianité : un pays vivant est un pays qui travaille, qui rit, qui invente — un pays en effervescence, mû par la joie du possible.
Camus voyait Sisyphe heureux en gravissant sa montagne. La Tunisie, elle aussi, pousse sa pierre — réforme, éducation, culture, création, résistance. L’effort, lorsqu’il devient collectif, se transforme en joie. Redonnons au travail son plaisir, à la citoyenneté sa musique, à la révolution sa poésie, au quotidien sa beauté.
Nietzsche rappelait que les peuples vivants sont ceux qui savent danser au bord du volcan. Joie lucide, elle traverse le tragique sans s’y perdre ; révolte paisible, rire qui défie le désespoir. Et Bergson voyait dans ce rire un correctif vital, une manière d’assouplir le monde et d’en préserver la liberté. Le rire, l’art, le grondement de la rue, la poésie, le théâtre, le sport, le cinéma, l’écologie, le tourisme inventif — voilà les nervures d’une République joyeuse.
Imaginer la Tunisie heureuse, c’est penser avec courage — et déjà recommencer. Une métaphysique joyeuse du recommencement. La félicité : une insurrection. La créativité : une souveraineté. Le bonheur : la révolution suprême. Là où renaît la joie, la nation se soulève et recommence.
