Par Mondher AFi
La rencontre du 17 novembre au Palais de Carthage, réunissant le Président Kaïs Saïed, le Directeur général de l’Organisation du monde islamique pour l’éducation, les sciences et la culture (ICESCO), Dr Salim bin Mohammed Al-Malik, et le haut représentant des Nations unies pour l’Alliance des Civilisations et envoyé spécial des Nations unies pour la lutte contre l’islamophobie, Miguel Ángel Moratinos, s’est imposée comme un moment d’une densité intellectuelle et politique exceptionnelle.
Loin d’être une simple audience aux contours protocolaires, elle a révélé un espace de pensée vivant, où s’esquisse une vision renouvelée de l’humanité, de la justice et des relations entre les peuples.
Dans un monde secoué par les fragmentations, les crispations identitaires et l’exploitation stratégique de la peur, la lecture adoptée par le Président s’inscrit dans une perspective résolument anthropologique, dépassant les grilles géostratégiques classiques. Comme l’exprime Edgar Morin, «comprendre l’humain, c’est comprendre la complexité de ses appartenances». C’est précisément dans cet enchevêtrement de cultures, de mémoires et de trajectoires que se déploie sa réflexion : aucune nation ne peut se prévaloir d’une supériorité naturelle, aucune civilisation ne dispose d’un droit d’antériorité morale ou historique et aucun peuple n’est condamné à une destinée imposée.
Cette position s’inscrit pleinement dans l’héritage intellectuel des grandes pensées de l’émancipation, de Frantz Fanon à Paul Ricœur, qui ont dévoilé les formes insidieuses de la domination symbolique. Lorsque le Président affirme que la prétendue division entre «peuples civilisés» et «peuples barbares» n’est qu’une construction coloniale, il rejoint la dénonciation fanonienne des structures du racisme, ainsi que l’analyse ricœurienne des idéologies de la supériorité, ces récits fabriqués pour légitimer la perpétuation de l’inégalité.
Ainsi reformulé, ce moment politique devient bien plus qu’une rencontre institutionnelle, il se transforme en une déclaration de principes, en un geste intellectuel qui conteste les hiérarchies héritées, déconstruit les mythologies de la puissance et affirme la possibilité d’un monde fondé sur la dignité égale de tous les peuples.
La fin des hiérarchies civilisationnelles : vers un monde post-impérial
Pour Le Président, le monde contemporain est engagé dans la clôture d’un cycle historique pluriséculaire au cours duquel certaines puissances se sont arrogé le privilège de définir unilatéralement les critères du progrès, de la modernité et même de l’humanité. Ce diagnostic n’est pas une simple observation politique, il constitue une véritable thèse sur l’évolution des structures mentales qui ont façonné l’ordre international depuis l’époque coloniale jusqu’aux formes actuelles de domination symbolique. Il rejoint, par son esprit et sa portée critique, l’intuition d’Aimé Césaire selon laquelle une civilisation qui ne parvient plus à résoudre les problèmes qu’elle engendre devient une civilisation en voie de déclin.
Dans cette perspective, Le Président Kaïs Saïed ne se contente pas de récuser les hiérarchies civilisationnelles traditionnellement admises, il remet en cause le fondement même de leur prétendue légitimité. Affirmer qu’aucune civilisation ne possède une supériorité ontologique sur une autre revient à miner les bases intellectuelles du paradigme du «choc des civilisations» popularisé par Samuel Huntington. Toutefois, la démarche présidentielle ne s’arrête pas à la critique. Elle propose une sortie conceptuelle hors des schémas de confrontation : au lieu d’un monde structuré par des lignes de fracture essentialisées, il défend la possibilité d’un monde régi par des dynamiques de coopération créatrice, où les échanges entre les peuples ne seraient plus conditionnés par la peur, la méfiance ou la compétition, mais par une reconnaissance réciproque de la dignité humaine.
Ce choix intellectuel et politique prend appui sur une conception profondément dynamique du réel. Les peuples, dans l’analyse du Président, ne sauraient être appréhendés comme des entités figées dans une identité immuable, ils sont au contraire des totalités vivantes, en perpétuelle recomposition, traversées par l’histoire, les imaginaires et les aspirations collectives. Ainsi, la rapidité des mutations mondiales, loin d’être perçue comme une menace ou un facteur de désorientation, devient une opportunité d’émancipation intellectuelle et morale. Le monde évolue désormais à un rythme qui dépasse les catégories d’analyse héritées du passé, et il devient impératif, selon cette vision, d’abandonner les notions obsolètes pour laisser place à des concepts capables de rendre intelligible la complexité du présent.
Cette perspective constitue, au fond, une démarche philosophique de grande ampleur. Elle repose sur l’idée que les cadres de pensée qui dominaient les relations internationales sont eux-mêmes devenus des obstacles à la compréhension des transformations en cours. De nouvelles légitimités, plus inclusives, plus humaines, sont en train d’émerger ; elles ne se construisent ni dans l’hégémonie ni dans la confrontation, mais dans la volonté de refonder la coexistence mondiale sur des valeurs réellement universelles. Ainsi, le projet défendu par le Président Kaïs Saïed ne se limite pas à la dénonciation des injustices historiques, il ouvre l’horizon d’un ordre mondial renouvelé, fondé sur l’égalité, la justice et la reconnaissance intégrale de chaque peuple en tant que sujet de l’histoire.
Une vision éthique et philosophique pour un monde en mutation
La position du Président Kaïs Saïed face aux transformations globales repose sur une compréhension anthropologique et philosophique du monde contemporain. Dans un univers caractérisé par la fragmentation géopolitique, la montée des identités radicalisées et l’instrumentalisation de la peur, le Président propose une lecture où la complexité humaine devient le pivot de l’action politique et sociale. Comme l’a soutenu Edgar Morin, «comprendre l’humain, c’est comprendre la complexité de ses appartenances», et c’est précisément cette complexité que le Président met au centre de sa réflexion. Il refuse toute hiérarchisation des peuples et toute idée de supériorité civilisationnelle, renversant les paradigmes hérités du colonialisme et du racisme structurel que dénonçaient Frantz Fanon et Paul Ricœur. En affirmant que la division du monde entre «peuples civilisés» et «peuples barbares» est une construction coloniale, il s’inscrit dans une démarche critique qui relie analyse historique, éthique et prospective.
Le Président souligne que le monde vit la fin d’un cycle historique dans lequel certaines puissances imposaient seules les catégories du progrès, de la modernité et de l’humanité. En résonance avec Aimé Césaire, il affirme qu’une civilisation incapable de résoudre les problèmes qu’elle engendre est une civilisation décadente. Cette lecture constitue un appel à dépasser l’ancien paradigme du «choc des civilisations» théorisé par Samuel Huntington. La vision tunisienne ne se limite pas à un refus, elle propose une alternative fondée sur la coopération créatrice et le respect des droits et de la dignité de chaque peuple.
Cette perspective s’appuie sur une lecture dynamique du réel : les peuples ne sont pas des entités figées mais des systèmes vivants, en constante transformation, capables d’émancipation lorsqu’on leur offre les conditions de l’auto-détermination. La rapidité des mutations mondiales, souvent source d’angoisse, devient ici une opportunité pour renouveler les concepts et les institutions. Le Président invite à reconnaître que les catégories analytiques traditionnelles sont dépassées et qu’une nouvelle légitimité fondée sur la justice, la liberté et la dignité des peuples est en gestation. Ce raisonnement s’appuie sur les travaux d’Amartya Sen, pour qui la liberté et le développement humain sont indissociables, ainsi que sur la pensée critique de Johan Galtung sur la «violence structurelle», qui démontre comment les inégalités sociales et économiques alimentent la radicalisation et l’exclusion.
En outre, le Président identifie clairement les obstacles idéologiques à ce projet : l’islamophobie, la peur instrumentalisée et les narrations conflictuelles. Il rappelle que ces phénomènes sont le produit de systèmes de pouvoir inégalitaires, et non de simples conflits religieux ou culturels. Réduire ces tensions à un affrontement civilisationnel serait, comme le souligne Edward Saïd, un «essentialisme paresseux».
Éducation, jeunesse et médias : les piliers de la transformation globale
Le Président Kaïs Saïed inscrit l’éducation, la jeunesse et les médias au cœur de la transformation sociale et civilisationnelle. L’éducation n’est pas un simple secteur technique, mais le moteur principal capable de remplacer l’ignorance par la compréhension critique et la peur par le dialogue. Elle permet aux individus de se former, non seulement à la connaissance académique, mais à la citoyenneté active, à la pensée autonome et à la créativité. Cette approche rejoint la tradition tunisienne de réforme éducative, de Kheireddine Pacha à Tahar Haddad, tout en l’adaptant aux défis contemporains de mondialisation, de communication instantanée et de diversité culturelle. Selon Paulo Freire, «personne n’éduque personne, personne ne s’éduque seul, les hommes s’éduquent ensemble», et c’est précisément cette dimension collaborative que le Président promeut pour transformer la jeunesse en force d’émancipation sociale et politique.
Le rôle de la jeunesse est central dans la vision présidentielle. Dans de nombreux pays, elle constitue la majorité démographique et est souvent exposée à la marginalisation. Au lieu d’être considérée comme un problème, elle est envisagée comme un vecteur de changement historique. En mobilisant l’énergie créative des jeunes et en les impliquant dans le dialogue interculturel et l’innovation civique, la société globale se construit de manière inclusive et durable. La jeunesse devient ainsi un catalyseur de la justice sociale et de la réconciliation entre les peuples, capable de déconstruire les stéréotypes et de dépasser les logiques de peur.
Enfin, les médias jouent un rôle stratégique. Le Président Kaïs Saïed considère que les médias ne doivent plus être de simples observateurs, mais des acteurs capables de refléter la diversité et la complexité des sociétés, de corriger les biais et de produire de nouvelles formes d’empathie collective. La prolifération des contenus numériques et des réseaux sociaux amplifie à la fois la compréhension et les tensions : elle peut renforcer les stéréotypes et les fractures, mais également créer des espaces de dialogue et de coopération mondiale. Le Président soutient que les médias doivent contribuer à bâtir une humanité solidaire, capable de reconnaître l’Autre comme partenaire plutôt qu’adversaire.
La Tunisie se situe au cœur d’un projet mondial ambitieux, fondé sur la réconciliation, la justice et l’émergence d’un nouvel humanisme éclairé. Cette perspective transcende les frontières nationales pour inscrire le pays dans un processus global dynamique, où la liberté, la justice et l’égalité ne sont pas de simples concepts abstraits, mais des principes effectifs, concrets et opérationnels, orientant la coexistence pacifique et la coopération internationale constructive. Les générations futures pourront ainsi bâtir un monde fondé sur la lucidité, l’éthique rigoureuse et la mobilisation coordonnée de toutes les forces vives de l’humanité, où la dignité, l’équité et le respect mutuel deviennent les véritables piliers d’une civilisation renouvelée, résiliente et durable, capable de répondre aux défis complexes du XXIᵉ siècle.
