Par Slim BEN YOUSSEF
Il existe, au Sud de la Tunisie, une clarté qui n’appartient qu’à lui. Dans les villages berbères, la lumière façonne les gestes, les pierres, les voix, les saisons. Chenini, Douiret, Guermassa, Ghomrassen, Beni Khedache, Ksar Hallouf, Toujane, Matmata, Tamezret, Taoujout et Tamaghza forment un chapelet de hauteurs, d’ergs, de vallées et de plateaux où l’on comprend que le pays possède une sagesse minérale. Ces villages racontent une manière d’habiter le monde avec justesse : architecture troglodyte adaptée aux étés de braise, citernes creusées dans la roche, ksours alignés comme des bibliothèques de pierre, agricultures patientes, hospitalités construites autour de l’harmonie.
Au pied du Djebel Dahar, les récifs jurassiques témoignent de millions d’années. Le sol garde la mémoire des mers anciennes, des plissements géologiques, des forces profondes qui ont modelé les reliefs. Cette profondeur géologique rappelle que la Tunisie n’est pas seulement une histoire humaine : elle est aussi un paysage qui instruit, un livre ouvert où chaque strate raconte l’entêtement de la vie. Dans ces villages, l’architecture dialogue avec la montagne. Les maisons troglodytes épousent la terre, protègent du vent chaud, offrent un refuge frais et calme. Elles traduisent un génie humain qui, loin des excès, privilégie l’intelligence écologique, la sobriété, la continuité.
Les traditions artisanales prolongent cet esprit : laine tissée, poterie rouge, ferronnerie fine, bijoux amazighs, drapés aux couleurs de la terre. La gastronomie suit cette même ligne : bsissa, couscous de montagne, agneau et chevreau à la gargoulette, huiles profondes, dattes d’altitude. Chaque geste porte la mémoire de ceux qui ont su faire de l’aridité une force, de la retenue une élégance, du paysage une pédagogie.
Camus parlait de la « mesure » de la lumière méditerranéenne ; Bergson évoquait la « durée » comme manière d’être au monde ; Spinoza voyait dans la « joie » une puissance qui augmente la vie. Le Sud tunisien réunit ces trois intuitions. Ces villages respirent lentement, profondément. Leur beauté tient à cette respiration : une clarté sans éclat, un calme qui fortifie, une présence qui rassure. Ils scintillent dans l’immensité comme des certitudes.
Dans un pays qui avance vers de nouveaux horizons, ces villages berbères offrent une boussole. Ils rappellent que l’avenir se construit avec la patience des artisans, l’intelligence des bâtisseurs, la sagesse des paysages anciens. Le Sud nous enseigne qu’avant de vouloir accélérer, il faut réapprendre à habiter. Il ouvre un chemin où la Tunisie peut trouver une force tranquille : celle d’un patrimoine vivant qui éclaire l’avenir.
